Tous ceux qui ont suivi les enseignements sur les « faits de société » de Michel Armand à l’Université du temps libre (UTL) d’Orléans ont été impressionnés par ses qualités de pédagogue, sa grande culture et la clarté avec laquelle il donnait à ses auditeurs des clés pour « comprendre le monde ». La preuve : il y avait quarante auditeurs la première année en 1998, à la Maison des associations d’Orléans, et il fallut des salles toujours plus grandes – jusqu’à celle de La Passerelle à Fleury-les-Aubrais – pour accueillir les 280 inscrits qui se pressaient à ses cours dans les années 2010.
Michel Armand nous offre aujourd’hui avec son livre Un autre monde. Mémoires 1933-2013 un riche et fructueux éclairage retraçant son « parcours de vie. »
On me permettra de mettre l’accent ici sur deux passages du livre : celui sur la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) et l’Action catholique de la jeunesse française (ACJF) et celui sur les responsabilités de syndicaliste dans l’enseignement qu’a exercées Michel Armand.
On le sait. François Mitterrand n’aurait jamais gagné l’élection présidentielle de 1981 si nombre de chrétiens n’avaient pas rejoint la gauche et le Parti socialiste. Ce fut manifeste en Bretagne, et avec des nuances, dans toute la France.
Les mouvements dits « d’action catholique » et leurs responsables ont beaucoup compté dans cette évolution, tout particulièrement les mouvements de jeunes, l’une des raisons de l’impact de ces mouvements étant due au fait qu’ils étaient dirigés et animés par des laïcs.
Michel Armand était de ceux-là. Il fut militant, puis dirigeant et secrétaire général de la JEC. Ce mouvement faisait, avec les autres (comme la JOC ou la JAC, devenue MRJC), partie de l’ACJF.
Animées par des jeunes très engagés, la JEC et l’ACJF devaient intervenir et prendre position dans maints domaines qui touchaient non seulement à la « société civile », mais aussi aux conditions de vie et de travail des étudiants et des lycéens, et plus largement à la sphère politique, en particulier sur la guerre d’Algérie qu’ils dénonçaient comme étant une guerre coloniale.
L’épiscopat ne put le tolérer. L’un des chapitres le plus forts du livre de Michel Armand s’intitule : « Existe-t-il une hiérarchie dans le gâchis ? » Il nous explique comment Mgr Guerry, archevêque de Cambrai, « sonna la charge […]. Les laïcs, dans les mouvements, recevaient un mandat de la hiérarchie […]. Dans la mesure où ce mandat existe, il ne peut être question qu’un mouvement prenne position sur un sujet délicat engageant l’Église. »
Ce « diktat », qui avait été précédé de démissions, mit fin à l’activité de l’ACJF. Il fut suivi de nombreuses démissions au sein de l’équipe nationale de la JEC. Pour les mêmes raisons, le mouvement connut une nouvelle crise, très rude, en 1965, à la suite des injonctions de Mgr Veuillot. Une équipe nationale qui était dans la ligne de la hiérarchie catholique se mit alors en place. Elle fut bientôt contestée à l’initiative des responsables des régions et des départements en 1967. J’en fus acteur et témoin.
On peut conclure de tout cela qu’il y eut une irrépressible aspiration de la part de jeunes laïcs au sein de l’Église française à un renouveau, à une émancipation, – une soif de liberté, le goût profond de bousculer les traditions face à une société en pleine mutation, comme le montrerait Mai 68.
Ce mouvement toucherait d’autres appareils.
C’est ainsi que je me souviens de cette page du quotidien Le Monde de l’année 1965 qui comptait six colonnes. Trois étaient consacrées à la crise de la JEC et à la contestation par ses dirigeants nationaux des positions de l’épiscopat. Trois autres étaient consacrées à la volonté de la direction du Parti communiste de mettre au pas les responsables de l’Union des étudiants communistes (UEC).
Parfaite symétrie !
« Déconfessionnalisation »
Dans la deuxième partie de son ouvrage, Michel Armand nous parle de sa passion pour son métier de professeur d’histoire-géographie, qu’il a longtemps exercé au lycée Benjamin-Franklin. Une passion de tous les instants qui ne le quitte pas et qui ne le quittera pas…
Il s’est engagé au Syndicat général de l’éducation nationale (SGEN) dont il devait devenir l’un des responsables nationaux, à la tête du secteur « secondaire » – celui qui comptait le plus d’adhérents – au terme de péripéties et de congrès qu’il nous fait vivre avec la même passion qu’il mettait en œuvre dans son enseignement.
Le SGEN, qui était l’un des syndicats de la CFTC, fut aux avant-postes du combat pour la « déconfessionnalisation » de celle-ci et la création de la CFDT, avec, notamment, Paul Vignaux. Grâce à lui, mais aussi bien sûr, à Eugène Descamps, Edmond Maire et beaucoup d’autres, cette transformation advint en 1964.
J’ai toujours eu le sentiment que Paul Vignaux, que j’avais rencontré en 1968, était favorable aux innovations portées par ce mouvement quant aux évolutions de l’Université et de la pédagogie.
Michel Armand montre, faits et arguments à l’appui, que ce ne fut pas le cas.
La nouvelle majorité du SGEN qu’il a soutenue lors des congrès qu’il décrit et dont il restitue les votes inattendus (c’était clairement démocratique) s’est engagée sur une voie très novatrice.
On a critiqué le « pédagogisme » au nom du respect du savoir et de la science.
J’ai toujours trouvé cette querelle assez vaine.
Ce qui est nécessaire, si l’on veut que l’école favorise la réussite de tous, c’est qu’elle s’appuie sur les meilleures pédagogies, qui doivent être au service d’une conception exigeante de la transmission et de l’apprentissage du savoir.
Jean Zay l’avait déjà beaucoup dit et écrit.
Et ce n’est pas par hasard si ceux qui se sont beaucoup battus naguère pour le renouveau pédagogique – dont Antoine Prost et Jacques Julliard – se retrouvent aujourd’hui à la tête des signataires d’une pétition qui condamne la démagogie en matière du nombre de jours et d’heures d’école*.
Oui, il faut une école exigeante et des pédagogies efficaces pour assurer la réussite de tous les élèves.
J’arrête là. J’espère avoir fait comprendre combien l’ouvrage de Michel Armand – qui se refuse à distinguer instruction et éducation – mérite d’être lu.
Jean-Pierre Sueur