Intervention de Jean-Pierre Sueur lors du colloque sur la diaspora africaine, organisé par Universté Sans Frontière et qui s'est le 26 janvier 2005 au Sénat. Mesdames, Messieurs, je voulais vous saluer très chaleureusement au nom du Sénat qui a l’honneur de vous accueillir aujourd’hui.

Quand Madame Noëlle Charpentier m’a demandé si la réunion pouvait se tenir au Sénat, j’ai saisi le Président du Sénat et les questeurs qui ont bien voulu souscrire à cette demande ; cependant, la prochaine fois, il faudra une salle plus grande et s’il faut une salle plus grande, c’est simplement le signe que votre mouvement suscite beaucoup d’intérêt, et je veux, si vous le permettez, Monsieur le Président de la Fédération « Université Sans Frontière », vous féliciter pour ce que vous faites.

En effet, j’ai entendu ce matin des interventions de très grande qualité dans leur diversité et ces interventions sont un signe d’espérance.

Il a été d’abord question de la coopération décentralisée. J’ai eu l’honneur, lorsque j’étais membre des gouvernements d’Edith Cresson et de Pierre Bérégovoy, de défendre, devant le Sénat et l’Assemblée Nationale, la loi qui a instauré la coopération décentralisée dans la législation française. C’est une notion très importante, très « porteuse », car elle permet à de très nombreuses communes de s’engager pour la coopération.

Il y a ici des amis de la Région Centre et d’Orléans. A Orléans, nous avons mis en œuvre une coopération décentralisée que je considère comme importante. Je suis cette coopération qui nous lie depuis plus de dix ans avec la deuxième ville du Bénin, Parakou, et je mesure ce qu’elle a apporté aux deux parties. Je mesure aussi qu’une telle coopération ne peut être efficace que si elle s’inscrit dans la durée. Je remercie et félicite toutes celles et tous ceux qui travaillent dans ce sens au sein des collectivités locales. J’en parlais ce matin avec le vice-président de la Région Centre, M. Valette, qui est avec nous, mais il y a aussi des représentants d’autres régions, de départements, de communes et d’agglomérations.

Je voudrais ajouter quelques mots, mais je serai bref car une autre manifestation, qui a commencé depuis quelques instants, m’oblige à vous quitter.

Premièrement, les diasporas, il y en a partout et il y en aura toujours partout et cela de plus en plus, parce que la mondialisation aboutit à ce qu’il y ait partout des « citoyens du monde ». Je partage toutes les paroles qui ont été dites, exprimant le souhait que cette diaspora africaine porte ici la parole de l’Afrique. Il faut, en particulier, refuser certaines caricatures de la réalité africaine à la télévision, dans les médias. Il ne faut rien tolérer, il ne faut rien laisser passer à cet égard.

Deuxièmement, il y a la question du développement de la misère, de la famine, des problèmes sanitaires, du Sida. Par rapport à cela, autant je crois à la coopération décentralisée et j’en ai parlé, autant ces questions appellent des règles économiques, des règles commerciales plus justes au niveau du monde. J’ai été un admirateur des accords de Lomé qui ont été signés, il a quelque temps, entre l’Afrique et l’Europe. Si ces accords sont restés dans nos mémoires à tous, c’est qu’ils ont représenté un mouvement pour garantir des prix aux producteurs et à leurs pays et pour ainsi tenter de maîtriser une partie- encore bien limitée- des règles du commerce mondial.

A cet égard, je veux évoquer deux mots, mais ce sera très court, car il faudrait beaucoup plus de temps. Ces mots font l’actualité dans la presse aujourd’hui.

Le premier, c’est le mot « quotas ». Face à l’immigration qui pose des problèmes, on pense pouvoir maîtriser les choses en instaurant des quotas. Je dis, et c’est une position personnelle puisque certains de mes amis sont pour, je dis que je suis contre parce que cela ne marche pas et parce que ce n’est pas l’intérêt des « pays d’origine ». Certains de mes collègues disent : « La moitié des médecins du Bénin sont en France ! ». D’abord, c’est faux, vous l’avez dit, mais ce n’est pas une manière de justifier les quotas. Si on instaure les quotas, on dira qu’il faut accepter un quota de médecins étrangers spécialisés dans telle ou telle discipline. Mais ce ne sera certainement pas au bénéfice du développement de la médecine dans les pays d’origine de ces médecins.

Nous avons réussi, je vous parle très franchement, il ne faut pas avoir la « langue de bois », à maintenir une maternité dans une petite ville du département du Loiret grâce à des médecins africains. Est-ce logique ? Est-ce conforme aux priorités du développement ?

De la même manière, je voudrais dire ici, à cette tribune, qu’il est absolument scandaleux que des laboratoires pharmaceutiques refusent de mettre en œuvre en Afrique tout ce que l’intelligence humaine a trouvé comme solutions, comme remèdes, a conçu comme médicaments par rapport à la lutte contre le Sida. C’est une bataille d’opinion, c’est une bataille politique au sens large du terme que l’on doit mener.

Le second mot est : « délocalisation ».

C’est vrai que les délocalisations nous posent des problèmes. Mais pourquoi un certain nombre de pays, à commencer par la France, reprocheraient-ils à des pays de faire aujourd’hui ce qu’ils ont fait jadis, pendant des siècles. Le problème, ce n’est pas de se réfugier derrière des protectionnismes inefficaces, c’est de penser l’organisation économique mondiale. Je pense pour ma part que l’organisation mondiale peut être conçue de différentes manières. C’est l’enjeu de toutes les réunions, de toutes les conférences qui sont organisées aujourd’hui. C’est la grande question du XXIe siècle.

Je voudrais pour finir vous dire que j’ai été sensible à ce que vous avez dit sur le savoir.
La clef, demain, c’est l’industrie, l’agriculture, les services, mais c’est aussi l’université et la recherche. Là aussi, il n’y a pas de fatalité. Mais il faut une forte volonté. Et il faut se donner les moyens de promouvoir en Afrique, l’université, la formation, l’éducation et la recherche.

Je connais les immenses ressources du continent africain. Ces ressources sont d’abord humaines. Il faut qu’elles s’expriment pleinement.
Je vous remercie de tout cœur d’être venus ici au Sénat pour débattre et pour agir ensemble.

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