Je suis heureux aussi de vous recevoir, car l’ambition de Psypropos m’est plus que sympathique, elle m’agrée complètement. Depuis 10 ans, en effet, votre association cherche à explorer des domaines de la réflexion qui peuvent concerner plusieurs disciplines L’interdisciplinarité est pour vous une exigence, et elle devrait être, pour tous, une nécessité.
Au Moyen-Age, à la Renaissance et à l’époque classique encore, l’interdisciplinarité était une réalité ou, pour être plus exact, il n’existait pas de séparation entre les disciplines. Les philosophes étaient aussi physiciens, astronomes ou mathématiciens. Les historiens étaient aussi des écrivains, des dramaturges. Ce n’est qu’à partir de la fin du XVIIIe siècle, avec l’accroissement considérable des connaissances, notamment scientifiques puis dans le domaine des sciences humaines et sociales, que chacun s’est spécialisé. La constitution des universités modernes a fait de ces spécialisations des disciplines autonomes, exigeant de ceux qui les pratiquait l’observation d’un cursus particulier. Le dialogue entre disciplines s’est alors très fortement réduit.
D’ailleurs, je trouve très significatif, par rapport à ces évolutions historiques, que le souhait de sauvegarder une certaine interdisciplinarité provienne de psychanalystes. En effet, cette discipline – par sa jeunesse, par son institutionnalisation relativement faible, mais aussi grâce aux formes particulières que revêt son « enseignement » et son « apprentissage » - est une des celles qui invitent le plus à l’interdisciplinarité.
Pour ma part, je considère que ce souci de faire parler, de faire résonner (et de faire raisonner) entre eux des praticiens de plusieurs disciplines est un enrichissement. En tant qu’adjoint à la culture d’une grande ville, j’ai pu constater l’apport considérable des confrontations entre disciplines dans le secteur de la culture.
Dans ce domaine, la spécialisation a également sévi, en même temps que la technicisation des professions : aujourd’hui on est danseur, dramaturge, poète, romancier, etc. A Orléans, nous avons cherché, tout en aidant chacun, à favoriser le travail en commun. C’est ainsi que, dans le cadre du Théâtre Pierre-Aimé Touchard, plusieurs institutions, travaillant dans les domaines aujourd’hui séparés, du spectacle vivant, cohabitent et cohabitent bien : la Scène Nationale-Carré Saint-Vincent, le Centre d’art Contemporain, le Centre Dramatique National avec Olivier Py, le Centre Chorégraphique National et Joseph Nadj. Toutes ces institutions ont su créer un vrai lieu culturel où diffusion et création vont de pair et rencontrent un véritable public. A une autre échelle, le programme des expositions de la Collégiale Saint-Pierre-le-Puellier s’est également attaché à interroger certains découpages institutionnels et académiques entre l’art et l’artisanat, entre plusieurs formes d’art, entre les pratiques amateurs et les pratiques professionnelles.
Cette année, vous avez choisi de réfléchir, avec des historiens, sur l’histoire, sur les histoires. Je n’ai pas ici la prétention de parler au nom des historiens et encore moins en historien. D’autres l’ont fait à l’occasion de cette journée. Mais il me semble que leurs réflexions épistémologiques et méthodologiques, depuis une cinquantaine d’années, les ont conduit à s’ouvrir sur d’autres disciplines, ouverture qui a fait (et qui fait encore) la richesse de l’école historique française.
Ainsi, lors de l’émergence de l’histoire économique française, de la démographie historique, entre 1930 et 1950, l’histoire a découvert les statistiques. Avec l’Ecole des Annales et l’utilisation de la notion de « longue durée », l’histoire s’est ouverte à la sociologie, à l’anthropologie. Elle a été, comme ces disciplines, influencée par le structuralisme. De nouveaux domaines sont apparus, à la jonction de ces disciplines, comme l’histoire sociale ou l’histoire des mentalités.
Plus près de nous, à partir des années 1970, dans le prolongement de l’ouvrage de Paul Veyne, comment on écrit l’histoire, les historiens ont « inventé » de nouveaux objets historiques, comme la perception et le désir du rivage par Alain Corbin, ou comme l’histoire de l’hygiène, du « propre et le sale » par Georges Vigarello. L’histoire des historiens est également devenue un objet d’écriture, et aussi d’introspection, pour les historiens eux-mêmes, avec les essais d’égo-histoire dirigés par Pierre Nora.
Je pense donc que la proposition des animateurs de Psypropos a rencontré assez naturellement l’intérêt des historiens.
Mais, au-delà de démarches proches en matière d’interdisciplinarité, il me semble aussi qu’un autre point commun existe entre les psychanalystes et les historiens, que les uns et les autres accordent une même attention au langage. Cette idée, je l’ai eu à la lecture de la conclusion de l’ouvrage d’Arlette FARGE, le goût de l’archive, que je livre, ici, à votre réflexion, sans autre commentaire :
« Le goût de l’archive est (…) une errance à travers les mots d’autrui, la recherche d’un langage qui en sauve les pertinences. Peut-être même est-ce une errance à travers les mots d’aujourd’hui, une conviction peu raisonnable qu’on écrit l’histoire pour ne pas la raconter, pour articuler un passé mort sur un langage et produire de « l’échange entre vivants ». Pour se glisser dans un discours inachevable sur l’homme et l’oubli, l’origine et la mort ».
Thème : Archives