Conseil Constitutionnel

  • La République du Centre, 15 avril 2023

     
  • Par une décision du 6 juin, le Conseil Constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la résolution proposée par Franck Montaugé et Jean-Pierre Sueur qui accroît les pouvoirs de contrôle du Sénat sur l’application des lois.

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  • Une promulgation précipitée
    Oui, c’est vrai le Journal officiel paraît, chaque jour, ou plutôt chaque nuit, à trois heures du matin. En fait, il ne paraît plus puisque, depuis quelques années, il n’est diffusé que par voie numérique. C’est donc de manière précipitée, dans la soirée, qu’en dépit de tous les appels des dirigeants syndicaux qui le pressaient de ne pas le faire, le président de la République a choisi de promulguer le projet de loi, dit de finances rectificative, validé partiellement par le Conseil constitutionnel, apportant ainsi un nouveau signe de sa volonté inflexible de refuser tout dialogue, toute concertation, toute négociation, tout compromis, du début à la fin de ce processus. Les réactions devant cet acte montrent que les conséquences risquent d’en être lourdes et durables. N’oublions jamais que l’article un de la Constitution dit que la France est une « République sociale ».
     
    Un précédent constitutionnel
    L’effet paradoxal de la décision du Conseil constitutionnel, c’est que si le recours à l’article 47-1 de la Constitution (qui ne traite que des lois de finances) ne fait pas – pour les membres de ce Conseil – obstacle au cœur de la loi, c’est-à-dire au passage de l’âge de la retraite à 64 ans, il leur a néanmoins permis d’annuler toutes les mesures sociales incluses dans le texte et ajoutées par amendement lors des débats. Le paradoxe, donc, est que le texte est moins social après la décision du Conseil constitutionnel qu’il ne l’était avant… et qu’en particulier toutes les avancées évoquées et invoquées par les députés et sénateurs LR pour voter le texte… sont réduites à néant !
    Mais il y a plus. Un précédent est créé. Car dès lors que cette pratique est validée par le Conseil constitutionnel, la procédure instaurée par l’article 47-1 de la Constitution peut s’appliquer à tout projet de loi qui n’est pas essentiellement une loi de finances, tout gouvernement pourra, en vertu de ce précédent, utiliser cette même procédure pour faire adopter des projets de loi divers et variés, et évidemment recourir à l’article 49-3 (qui permet rappelons-le, « l’adoption » d’un texte sans vote) puisqu’aucune restriction n’existe dans la Constitution pour le recours au 49-3 pour les projets de loi de finances, ce qui n’est pas le cas pour les autres projets de loi pour lesquels un seul recours est possible par session parlementaire.
    Jean-Pierre Sueur
  • Le Conseil Constitutionnel vient de tirer les conséquences d’une décision de la Cour européenne des Droits de l’Homme du 30 janvier 2020 condamnant la France à faire respecter le droit des personnes placées en détention provisoire – donc présumées innocentes – à être incarcérées dans des conditions qui ne violent pas la dignité humaine.

    Le Conseil Constitutionnel a ainsi décidé que le Parlement devrait voter dans les cinq mois une nouvelle loi permettant que ce droit soit respecté. La loi devra être votée avant le 1er mars 2021.

    Comme l’a écrit Jean-Baptiste Jacquin dans Le Monde, « si le délai laissé au législateur est si court, c’est que l’institution estime, ici, que l’atteinte à un droit constitutionnel est particulièrement grave. »Le Conseil constitutionnel rappelle en effet que le préambule de la Constitution de 1946 dispose que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. »

    La balle – si l’on peut dire – est donc désormais dans le camp du gouvernement et du Parlement.

    Il me paraît essentiel que le Parlement et tout particulièrement le Sénat s’emploient à tirer toutes les conséquences de cette décision qui a le mérite d’être très claire et conforme à des principes qui doivent être respectés en toute circonstance.

    Jean-Pierre Sueur

    >> Lire la décision du Conseil Constitutionnel

  • France Bleu Orléans, 13 avril 2023

     
  • La République du Centre, 19 avril 2023

     
  • Editorial du numéro 31 (mai 2019) de La Lettre de Jean-Pierre Sueur
     
    Puisque le projet de réforme constitutionnelle revient à l’ordre du jour, je me permettrai, ici, trois remarques, sans prétendre – tant s’en faut – épuiser ce sujet difficile.
    Bien qu’on s’y réclame volontiers de Montesquieu, notre pays ne met pas toujours en pratique – et c’est un euphémisme – la nécessaire séparation des pouvoirs entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. J’ai pu le constater, le dire et le redire à propos d’une récente commission d’enquête. Il m’apparaît donc que toute réforme constitutionnelle devrait renforcer la séparation – et l’équilibre – des pouvoirs. Chacun sait que la Cinquième République se caractérise par un déséquilibre entre les prérogatives de l’exécutif et du législatif. Une future réforme devrait – à mon sens – à tout le moins réduire ce déséquilibre en renforçant les prérogatives du Parlement.
    Il y a depuis plusieurs années – me semble-t-il – un assez large accord sur trois mesures. D’abord la suppression de la Cour de justice de la République. Il n’est pas justifié en effet que des politiques soient jugés pour des actes commis dans l’exercice de leur fonction par un tribunal constitué majoritairement de politiques. En second lieu, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature qui fonderait enfin l’indépendance du parquet pour ce qui est des nominations et procédures disciplinaires. Cela éviterait que la France se fasse régulièrement sanctionner par la Cour européenne des droits de l’Homme qui considère que l’indépendance des magistrats du parquet français est entachée par leur mode de nomination. En troisième lieu, la réforme du Conseil constitutionnel. La présence en son sein des anciens présidents de la République – qui avait été décidée afin que Vincent Auriol et René Coty perçoivent une retraite – n’a plus aucune justification. Elle engendre de surcroît, depuis la création des questions prioritaires de constitutionnalité, des conflits d’intérêt. Puisque, sur ces trois points, il est possible d’obtenir la majorité requise, pourquoi ne pas les soumettre en priorité au Congrès ?
    Y a-t-il trop de parlementaires ? Soyons clairs, les chiffres de 577 députés et de 348 sénateurs ne sont pas, pour moi, immuables. Mais je m’interroge sur les conséquences d’un double mouvement qui réduirait très sensiblement le nombre de parlementaires et introduirait une part importante de proportionnelle à l’Assemblée Nationale. La proportionnelle a assurément l’avantage de mieux représenter les différents courants politiques. Mais la proportionnelle nationale a pour effet d’accroître le poids des instances nationales des partis. Les députés ainsi élus n’ont pas d’attache avec un territoire. Toute autre était la logique de la proportionnelle départementale que nous avons connue entre 1986 et 1988 qui maintenait l’ancrage des députés sur le terrain – celui d’un département. Or, il faut craindre que l’effet conjugué des deux mesures précitées soit de réduire le rapport de proximité entre les parlementaires et les habitants. Ainsi en serait-il s’il n’y avait plus qu’un sénateur et un – ou deux – députés dans nombre de départements – et cela à l’heure où l’on insiste tant sur la nécessaire proximité.
    De tout cela, et du reste, nous aurons l’occasion de reparler. Car je suis, et reste, à votre disposition pour dialoguer sur ces questions essentielles pour l’avenir de notre République.
    Jean-Pierre Sueur
  • … Il n’y a jamais eu tant de tribunes dans les journaux exposant ce que le Conseil constitutionnel doit, devrait, pourrait, ne doit pas, ne devrait pas, ne pourrait pas… décider sur le projet de loi sur les retraites…émanant d’éminents constitutionnalistesayant, évidemment, des idées différentes sur le sujet, qu’on en vient à considérer que le Conseil, et lui seul, détient les clés de la loi ou de l’absence de loi, lui prêtant toutes sortes de prérogatives, d’intentions et de présomptions.
    Il me semble que, face à ce déferlement, il faut raison garder !
    Bien que son existence même fut souvent par, le passé, mise en cause, il m’apparaît tout d’abord qu’il est bon qu'il existe une instance chargée de veiller à la défense de la Constitution,au-delà des circonstances politiques changeantes. C’est d’ailleurs le cas dans toutes les grandes et vraiesdémocraties.
    Je me contenterai de quatre remarques à ce sujet, avant d’aborder la question de la loi sur les retraites.
    Première remarque : la composition du Conseil constitutionnel reste un objet de débat. Il compte aujourd’hui deux anciens Premiers ministres, deux anciens ministres d’Emmanuel Macron, un ancien sénateur et quatre juristes dont deux au moinsont été très liés à l’activité parlementaire. Impossible de méconnaître que la majorité de ses membres sont des politiques –même s’ils diront tous que, dès lors qu’ils sont membres de ce Conseil, leur seul et unique rôle est d’être les gardiens de la Constitution. Certains préconisent que le Conseil ne soit composé que de juristes ou de magistrats n’ayant jamais exercé de fonctions électives… Mais on objectera ce qu'on irait alors vers un « conseil de juges » n’ayant pas d’expérience du gouvernement ni du Parlement ni des collectivités locales. C’est un sujet de débat par rapport auquel je dirai seulement qu’il peut paraître paradoxal que des ministres ou parlementaires ayant participé récemment au vote des lois, à leur préparation, à leur défenseet bien sûr à l'élaboration de la politique des derniers gouvernements, en deviennent peu après les juges constitutionnels objectifs, même si je sais qu’ils peuvent se déporter et qu’ils le font.
    Ma seconde remarque porte sur la nature des décisions prises par le Conseil. Pour les lire avec soin, il m’apparaît qu’elles sont de plus en plus longues et complexes. On se perd parfois entre tous les « considérants », entre les décisions et les « réserves d’interprétation » – sans oublier les « commentaires » dont les membres du Conseil assortissent leurs décisions : il s’agit là d’une littérature au statut incertain puisqu’elle n’est pas la décision elle-même… mais est censée nous expliquer comment on doit la comprendre, l’interpréter ou l’appliquer. Il s’ensuit toute une jurisprudence au sein de laquelle le profane a quelques peines à se retrouver.
    Troisième remarque : j’ai souvent déjà dit les effets néfastes d’une jurisprudence qui a dû se mettre en place vers les années 2010 et qui conduit le Conseil à pourfendre immanquablement tous les amendements qui, selon lui, n’ont pas de rapport avec le texte de loi en discussion –ce qui me paraît méconnaître la lettre de la Constitution (je me permets de le dire humblement) en vertu de laquelle tout amendement ayant un rapport « même indirect » avec le texte est recevable en première lecture (cf. son article 45). La conséquence de cette jurisprudence trop dirimante est que les assemblées parlementaires finissent par pratiquer préventivement une autocensure à cet égard, qui porte atteinte au droit d’amendement. Mais je ne développe pas ce sujet, pour l’avoir souvent fait.
    Quatrième et dernière remarque – avant d’en venir aux retraites. Il est, bien sûr, bénéfique que soixante députés ou soixante sénateurs puissent déférer tout projet de loi adopté devant le Conseil constitutionnel – ce qui n’était pas le cas au départ –et que depuis la réforme constitutionnelle de 2008, tous les citoyens puissent, dans des conditions déterminées, saisir le Conseil constitutionnel de toute loi –y compris très ancienne –en vertu de laquelle ils se trouvent devant les tribunaux, dès lors qu’ils considèrent que cette loi n’est pas conforme à la Constitution. Cette procédure dénommée « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) est assurément un progrès pour les droits de tous et pour la démocratie.
     
    J’en viens au projet de loi sur les retraites.
    Comme l’a dit – notamment ­ Dominique Rousseau, il y a un argument de poids pour l’inconstitutionnalité du texte : c’est le fait que le gouvernement ait eu recours à l’article 47-1 de la Constitution. Cet article est destiné aux lois de finances et à elles seules. Il se justifie par la nécessité que les budgets de l’État et de la sécurité sociale soient votés avant le 31 décembre de chaque année. Sous les précédentes républiques, on devait arrêter les pendules. Les délais dans lesquels doivent se dérouler les débats et les votes sont ainsi contraints.
    Mais c’est par un abus de procédure que le gouvernement a considéré qu’une réformedes retraites relevait…d’une loi de finances rectificative… alors qu’il s’agit d’une loi sociale, ayant un objet propre, qui a évidemment des conséquences budgétaires (comme c’est le cas pour toutes les lois…), mais qui n’est pas une loi de finances ! Rappelons, en outre, que le fameux article 49-3 peut toujours s’appliquer aux lois de finances même si la réforme de 2008 a heureusement limité son usage…
    Autres arguments : le débat parlementaire s’est déroulé de façon singulière. L’Assemblée nationale n’a étudié, en séance plénière, que deux articles. On ne peut donc pas dire que les représentants de celles-ciau sein de la commission mixte paritaire aient été mandatés par leur assemblée pour défendre une quelconque position. Et quant au débat au Sénat, on a vu qu’il était marqué par une accumulation sans précédentde toutes les ressources de la Constitution et du règlement de cette assemblée (et ni l’un ni l’autre n’en manquent) pour restreindre dans la dernière semaine la possibilité d’argumenter… Et Dominique Rousseau ajoute que « des amendements ont été jugés irrecevables de manière très discutable » (j’ajoute qu’une interprétation fallacieuse de l’article 45 de la Constitution a encore frappé…), que « les débats ont pour le moins manqué au principe constitutionnel de clarté et de sincérité » reconnu par le Conseil, notamment sur la pension minimale à 1 200 €.
    Et il conclut que « sur ces seuls motifs », le Conseil peut censurer la loi et que « l’apaisement social serait immédiat… »
    Cela me paraît clair. Mais je n’ignore pas ce que disent d’autresconstitutionnalistes. Il est rare que le Conseil censure l’ensemble d’une loi. On peut arguer que celle-ci ne manque pas d’aspects financiers.Et les usages rappelés ci-dessus peuvent tout à fait conduire le Conseil à invalider certains articles (sur l’index senior par exemple), à limiter la portée de certains autres articles et à ajouter quelques réserves d’interprétation… sans compter les inévitables « commentaires »
    Je tirerai de tout cela quelques conclusions simples :
    1) Le respect de la Constitution est essentiel.
    2) Nous sommes dans un État de droit et c’est essentiel.
    3) Le droit ne relève pas de la science exacte, sa mise en œuvre n’est pas mathématique.
    4) Croire qu’il existe un droit épuré de toute considérationliée aux circonstances, aux contextes – et même aux convictions politiques – est sans doute illusoire.
    5) Il s’ensuit que le droit – en cette haute instance comme en toute autre – est un ensemble de choix humainséclairés par des règles, effectués par des humains dans un contexte humain !
    Jean-Pierre Sueur
     
    Post-scriptum. Pour ne pas allonger ce texte déjà trop long, je n’ai pas évoqué le fait que le Conseil constitutionnel devra– le même jour a-t-il annoncé –statuer à la fois sur la loi sur les retraites et sur la demande de recours à un référendum d’initiative partagée (RIP) en vertu de l’article 11 de la Constitution, demande dont je suis signataire. Ce n'est pas le moindre des paradoxesque le Conseil pourrait, le même jour, valider même partiellement la loi, ouvrant la voie à sa promulgation (le président de la République ne pourrait pas ne pas la promulguer) et le lancement d’un processus référendaire ayant pour objectif d’abolir ladite loi. Celle-ci serait donc théoriquement « applicable » mais pratiquement en sursis –si tant est que les conditions fixées par l’article 11, qui sont assez complexes, soient remplies ! Nous aurons – peut-être –l’occasion d’en reparler.
  • Le Courrier du Loiret, 19 avril 2023