Politique

  • « Trahison ». C’est avec consternation que j’ai lu à la fin du mois d’août dans Le Monde les six longs articles de Gérard Davet et Fabrice Lhomme intitulés « Sept ans de trahison ». Ceux-ci ont été écrits à partir d’entretiens avec un certain nombre d’acteurs – d’anciens ministres notamment – du quinquennat de François Hollande. Il me paraît clair que les auteurs n’ont retenu que les extraits les plus durs, voire les plus « saignants », de ces entretiens. J’ai d’ailleurs rencontré deux personnes  qui ont été interviewées, mais dont les propos n’ont pas été repris : sans doute étaient-ils trop mesurés, trop nuancés. Toujours est-il que, pour ma part, je désapprouve nombre des propos qui ont été tenus et rapportés. Je considère que lorsqu’on a eu l’honneur d’être ministre – et même Premier ministre – d’un président de la République, un devoir de loyauté s’impose. Je n’imagine d’ailleurs pas qu’un certain nombre de ceux qui se sont exprimés n’aient pas eu de responsabilité effective dans les décisions qui ont été prises. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur le quinquennat de François Hollande lors de la parution de son livre. Il y a eu, à côté d’erreurs sur le fond, d’erreurs de calendrier aussi, de vraies réussites dont – je le redis – l’histoire rendra justice. J’ai eu l’occasion de dire à François Hollande ce que je pensais des propos rapportés dans ces six articles. J’ajouterai que pour moi, le socialisme auquel je reste fidèle est synonyme de fraternité. Oui, de fraternité. C’est d’ailleurs ce que pensent, ou ce qu’ont pensé, tant d’adhérents, de militants, de sympathisants, du PS et de la gauche – au fil des temps –, ce qu’attendent tant de nos concitoyens – bien loin du culte des « égos » qui absorbe et pervertit ceux qui ont oublié d’où ils venaient et où il fallait aller.

    « Écologie ». L’urgence écologique est là. Nul ne peut plus le contester. Si bien que le champ politique se couvre de néo-convertis. On permettra à un élu qui, avec d’autres, s’est battu contre vents et marées et contre des opposants de toute sorte, pour construire à Orléans une ligne de tramway de dix-huit kilomètres, en un temps où l’on parlait moins d’écologie, d’écrire que seuls les actes comptent ! J’imagine qu’aux prochaines municipales, il n’y aura que des listes écologistes… Mais il ne suffit pas de s’approprier un mot… en oubliant toute autre préoccupation. C’est facile et c’est démagogique. Oui, seuls les actes comptent et compteront. Et si l’écologie est nécessaire, la solidarité reste indispensable. Je désapprouve ceux qui, au bénéfice de la première, délaissent la seconde. L’« empreinte carbone » des plus riches est incomparablement plus forte que celle des plus pauvres. Un monde plus habitable est un monde où l’on respecte la planète et également les êtres humains qui l’habitent – et d’abord les plus pauvres et les plus vulnérables qui sont, et risquent d’être davantage, les victimes du climat et de la misère.

    Non, on n’est pas couché. Qu’il suffise d’avoir réalisé des dessins et écrit des textes odieux et antisémites il y a vingt ou trente ans pour bénéficier de quarante minutes d’antenne sur une chaîne de service public laisse abasourdi. Que cette polémique survienne au cœur d’une autre polémique où deux paroles s’affrontent, sans que l’une des deux n’ait droit à la parole, cependant que les personnes présentes à l’émission en question font preuve d’une étrange complaisance laisse également abasourdi. J’espère à tout le moins que ceux qui n’ont pas eu la parole auront un « droit de réponse ». Mais en attendant, je m’interroge sur l’idée qu’on se fait, à la direction de France Télévision, du service public.

    Jean-Pierre Sueur

  • · C’est quand la situation est difficile et que les enjeux deviennent plus lourds qu’il faut garder à l’esprit l’ardente nécessité de la justice. Le débat sur la taxation des « superprofits » est revenu sur le devant de la scène puisqu’Élisabeth Borne a rouvert la porte que Bruno Le Maire avait fermée. Cette question reviendra inéluctablement au cœur de l’actualité. On comprend que l’on n’alourdisse pas la fiscalité des ménages, surtout les plus modestes. Mais qui comprendra que l’on refuse de demander une contribution à des groupes pétroliers qui, du fait de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique, engrangent cinq milliards de plus-values en quelques mois ? Je serai de ceux qui se battent pour que la justice la plus élémentaire s’impose en ces circonstances.

    · Esther Duflot apporte un argument supplémentaire en démontrant que les appels aux efforts et à la « sobriété » qui nous sont délivrés quotidiennement par nos gouvernants ne seront crédibles et acceptables que si l’on avance résolument vers une plus grande justice sociale. La force de son raisonnement tient au fait qu’elle l’étend au niveau planétaire et à tous les domaines, dont celui de l’alimentation. Elle explique que l’on ne peut nourrir dignement tous les êtres humains et lutter contre la très grande pauvreté – qui va s’aggraver avec la crise énergétique – que si l’on étend à grande échelle les règles de solidarité pour lesquelles l’Europe doit être un acteur majeur.

    · Je ne comprends pas pourquoi un « conseil de défense » est réuni pour évoquer – après la santé – la crise énergétique. J’avais pensé un peu naïvement que le « conseil de défense » avait pour mission de parler des sujets militaires et de renseignements. Le but recherché est sans doute de réduire le nombre de décideurs chargés d’évoquer ces questions et d’annoncer les décisions à un petit nombre d’acteurs, ministres et conseillers, réunis autour du président de la République et de la Première ministre. Mais quel contresens ! Pourquoi restreindre à ce point un débat qui concerne tous les Français ? C’est d’abord le Parlement qui doit être saisi de cette question décisive. C’est le gouvernement qui doit, le cas échéant, lui présenter des projets de loi. Et c'est toute la société qui est concernée, à commencer par les collectivités locales – régions, départements, intercommunalités, communes – sans lesquelles aucune décision ni stratégie ne pourrait être mise en œuvre.

    · Autre dérive institutionnelle, le Conseil national de la refondation, annoncé en grande pompe par le président de la République, à propos duquel on suit chaque matin à la radio l’imposant feuilleton qui liste celles et ceux qui n’y participeront pas ! Pourquoi ? Parce que là encore, il y a une bien maladroite stratégie qui aboutit à déposséder les institutions de leurs prérogatives, à commencer par le Parlement. Sur les enjeux de l’avenir mais aussi sur la Constitution qu’il faut assurément réformer sur plusieurs points, comment ignorer le Parlement qui doit de toute façon être saisi, et auquel il revient de voter les lois ? Et comment ignorer le Conseil économique, social et environnemental dont c’est précisément la mission, confortée par une loi récente ?

    · En un mot, la nouvelle configuration politique dans laquelle il n’y a pas à l’Assemblée nationale une majorité absolue mais une majorité relative n’est pas une catastrophe comme certains l’ont dit. C’est l’expression d’un pluralisme voulu par les électeurs. Cette nouvelle configuration donne assurément plus de pouvoir au Parlement. Elle crée une situation inédite pour le pouvoir exécutif, mais elle ne doit pas se traduire par des contournements des institutions de la République ni de certains de ces principes. Tout au contraire !

    Jean-Pierre Sueur

  • La République du Centre, 17 septembre 2022

     
  • Public Sénat, 20 septembre 2022

     
  • Suite aux propos d’Olivier Carré dans La République du Centre de ce vendredi 27 septembre, je tiens à apporter les précisions suivantes. J’ai été maire d’Orléans durant douze ans. J’ai été député et maire durant deux ans, ministre etmaire durant deux ans. J’ai donc exercé durant huit ans le seul mandat de maire. Durant ces douze années, je n’ai jamais fait rembourser par la ville une seule note d’hôtel à Paris. Cela aurait été injustifié. Et cela l’est toujours.

    Jean-Pierre Sueur

  • François Mitterrand a dit un jour que, pour lui, la meilleure qualité que devait avoir un homme ou une femme politique, c’était l’indifférence.

    Plusieurs s’en offusquèrent. Non, dirent-ils, la meilleure qualité d’un homme ou d’une femme politique, ce devrait être la force de conviction, le sens de l’engagement et du dévouement, la sympathie, l’empathie.

    François Mitterrand en convint. C’était vrai. Il précisa ce qu’il avait dit. Quand il parlait d’« indifférence », cela signifiait qu’il fallait s’attendre à tout dans le comportement de certains politiques et qu’il fallait ne s’étonner de rien.

    J’en vois – ils et elles se reconnaîtront – dont je connais bien le parcours et dont je sais ce que furent leurs convictions, faire les choix les plus contraires au motif qu’ils « ne pourraient pas faire autrement », que la politique « c’est comme ça », ou encore que cela leur « serait imposé ». Mais par qui ? Et pourquoi ?

    Nul n’est contraint ni à l’opportunisme ni au cynisme – qui ont pour point commun de vider la politique de tout sens.

    Et si tout est dans tout, elle n’a plus de sens.

    J’ajoute que les contorsions verbales sont, à cet égard, inopérantes.

    « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde »disait Albert Camus.

    Jean-Pierre Sueur

  • Aucune injure ne me fera revenir sur aucune des lignes des rapports que j’ai écrits cette année, avec d’autres, en toute indépendance, dans la cadre de la mission de contrôle dévolue au Parlement par la Constitution.

    Aucune injure n’entamera ma sérénité.

    Je remercie toutes celles et tous ceux, très nombreux, venus de tous les horizons politiques, qui m’ont apporté leur soutien.

    Jean-Pierre Sueur

  • J'apporte, bien sûr, mon total soutien aux journalistes du JDD qui s'opposent à ce que leur soit imposé un directeur de la rédaction d'extrême droite, issu de Valeurs actuelles, revue d'extrême droite.
    Un journal n'est pas une marchandise comme les autres. L'actionnaire majoritaire ne devrait pas pouvoir imposer à une rédaction un directeur qu'elle récuse.
    L'assentiment de la rédaction existe dans certains journaux : Le Monde, La Croix, Libération, L'Express.
    Il devrait pouvoir être généralisé. Et même si jusqu'ici aucune loi allant dans ce sens n'a pu être votée, ce n'est pas une raison pour ne rien faire. Tout au contraire.
    Il y va de l'indépendance de la presse. Une indépendance si précieuse et que l'actionnariat d'un certain nombre de publications qui n’a  rien à voir avec la presse peut mettre en péril. En attendant, soutenons les journalistes du JDD.

    JPS

     

  • Pour l’enregistrement d’une émission consacrée à Pierre Ségelle, ancien maire d’Orléans, député et ministre de la Santé publique, je me suis replongé dans la lecture des actes d’un colloque que la Ville d’Orléans avait organisé en 1991 pour mieux faire connaître son œuvre nationale et locale.
    Et je tombe sur ce passage d’une communication de Gérard Lauvergeon dans laquelle celui-ci évoque la participation – souvent méconnue – de Pierre Ségelle à la création de la Sécurité sociale :
    « L’incorporation des régimes spéciaux d’assurances sociales, notamment à caractère mutualiste, qui existaient avant la loi de 1930 posait problème, car les bénéficiaires craignaient de perdre leurs avantages dans un grand système fourre-tout et aussi leurs caisses particulières où ils étaient connus. C’est la grande interrogation chez les mineurs, les cheminots, les fonctionnaires, les gens de la marine marchande. Pierre Ségelle a pris la défense du mutualisme et œuvré de telle manière qu’il ne disparaisse pas et que les mutualistes conservent leurs avantages s’ils en avaient. »
    Gérard Lauvergeon ajoute que Pierre Ségelle « s’est aussi battu pour l’application immédiate de la Sécurité sociale dès le 1er juillet 1946 (…) L’appui des organisations syndicales et la persuasion des parlementaires lui permettent de gagner cette bataille (…) Il est à l’origine de la gestion de la Sécurité sociales par les salariés eux-mêmes. »
    Ces phrases résonnent très singulièrement, comme un précieux rappel de l’histoire dans la période actuelle.
    Songeant au souci de Pierre Ségelle de trouver un chemin réaliste, pragmatique, la célèbre phrase de Jaurès me revenait à l’esprit : « Aller vers l’idéal et comprendre le réel. »
    La situation de blocage actuel tient au fait qu’on a brandi une conception universaliste, générale, en l’assortissant de tellement de propos incertains, flous, contradictoires et même provocateurs que personne n’y comprend rien et qu’on a suscité les angoisses et les craintes légitimes de régressions de toutes natures.
    Il faut en revenir aux fondamentaux.
    Je suis persuadé que des réformes sont possibles dans notre pays. Il y a d’ailleurs de nombreux exemples qui le montrent.
    Mais pour qu’une réforme puisse se faire et être approuvée par ceux qui en vivront les conséquences, il faut d’abord qu’elle soit JUSTE.
    Or rien ne garantit que ce qui est très imprécisément annoncé aboutira à un dispositif plus juste, tant s’en faut !
    En second lieu, il faut que la réforme soit lisible et compréhensible. Inutile de redire qu’on en est très loin !
    Il faut, en troisième lieu, qu’elle soit gradualiste, inscrite dans le temps, par étapes. Là encore, le moins qu’on puisse dire est que les choses ne sont pas claires.
    Et on me permettra, pour finir, de saluer les mesures très pragmatiques, mais utiles et efficaces, mises en œuvre successivement, en matière de retraites, par Lionel Jospin et Marisol Touraine.
    Leur réalisme et leur pragmatisme doivent, me semble-t-il, être pour nos actuels gouvernants un sujet de réflexion.
    Jean-Pierre Sueur
  • Le moins qu’on puisse dire est que la réunion du « Conseil national de la refondation » est un non-événement.
    S’il s’agit de « refonder » notre République au travers de sujets essentiels pour les Français, comment comprendre qu’alors que cela devrait concerner et intéresser tous nos concitoyens, qu’il se soit agi d’une réunion de quarante personnes, dont pour beaucoup on ignore l’identité, qui a siégé à huis clos ? Ces sujets relèvent-ils du « secret défense » ?
    Et comment comprendre que la prochaine rencontre ne soit prévue qu’en décembre… comme si l’on voulait enliser le processus dès son commencement ?
    Non ; soyons clairs ! la « refondation » et la rénovation – et, c’est vrai, il y a nombre de réformes à faire – supposent tout simplement qu’on respecte et qu’on mobilise les institutions de la République.
    JPS
  • Chacun peut, certes, évoluer. Mais voilà qu’après un parcours déjà complexe, Olivier Dussopt vient, en quelques lignes lapidaires, d’envoyer aux gémonies dans le Journal du dimanche du 20 août, à la fois le socialisme démocratique et la social-démocratie, voués, l’un et l’autre, aux antiquités, au bénéfice d’une grande idée neuve : le progrès ! Le progrès nous est ainsi offert, sous les auspices d’Auguste Comte, rien de moins, pour préparer les temps nouveaux. Auguste Comte a, certes, joué un rôle dans l’histoire de la pensée. Mais mon premier réflexe serait d’envoyer à Olivier Dussopt quelques centaines de pages noircies par Charles Péguy au début du siècle précédent pour dénoncer les fatuités de certaines conceptions du progrès, les perversités du monde prétendument moderne, sans compter le positivisme d’État. Bien sûr que la notion de progrès a recouvert de belles et bonnes avancées pour l’histoire et l’humanité ! Mais l’inverse est aussi vrai. Il y a une quarantaine d’années déjà, des penseurs ouverts à l’écologie nous parlaient des dégâts du progrès. Autrement dit, la notion est ambivalente. Elle recouvre quantité de marchandises. C’est un mot-valise.
    Et il ne serait pas utile que l’on s’arrête à ce tour de passe-passe purement nominaliste si le socialisme démocratique et la social-démocratie n’avaient pas un passé, un présent et un avenir.
    Le passé, ce fut une révolte contre tout ce qui a transformé, au nom de vulgates marxistes, un formidable espoir en terreur et en barbarie.
    Le présent, c’est ce qui est à l’œuvre dans nombre de pays d’Europe où les sociaux-démocrates exercent le pouvoir, y participent, ou s’y préparent.
    C’est cette conception de la société – y en a-t-il de meilleure ? – qui lie de manière irréductible la justice et la liberté, la démocratie et la solidarité, l’économie ouverte et la gestion par la puissance publique d’un bien commun, d’un intérêt général, que le marché – pour nécessaire qu’il soit – ne saurait engendrer spontanément en raison de sa congénitale myopie. C’est le respect intégral partout de tous les droits de tous les êtres humains – et pour cela l’attachement à des règles, des lois, des principes de justice au plan national, comme en Europe et dans le monde.
    Ce projet, on le voit, pris dans sa globalité, s’oppose à tous les conservatismes qui ont en commun de vouloir que tous les ordres injustes perdurent.
    Reste une question. Pourquoi Olivier Dussopt veut-il le renier pour s’adonner au culte du progrès ?
    Il y a une réponse. Le choix du « ni droite ni gauche » est finalement si contraire à notre histoire – même s’il y a évidemment plusieurs gauches et plusieurs droites – que ses promoteurs peinent à le définir. Ou ils le trahissent et le trahiront, en pactisant avec la droite. Ou ils ont, et auront, bien du mal à dénommer cet entre-deux : d’où la recherche de mots-valise. Et j’ai bien peur, qu’en l’espèce, le progrès ne soit qu’un placebo destiné à dénommer une vacuité. Mais aucune vacuité n'est innocente. Car les alternatives peuvent être terribles.
    Alors, plutôt que de faire du progrès un placebo, il est tellement plus juste de se référer à ce qui peut offrir un avenir à nos sociétés : la social-démocratie toujours à reconquérir, à repenser, à renouveler. Mais ne le cachons pas à Olivier Dussopt et à ses amis : faire un tel choix ce serait – ce qui semble si difficile pour eux – choisir la gauche !
    Jean-Pierre Sueur