Fruit d’un travail considérable, le livre que vient de publier Pascale Auditeau, intitulé
La guerre de 1870 vue par les romanciers (éditions L’Harmattan) nous offre un panorama sans précédent d’une période et d’une thématique trop méconnues de notre histoire littéraire.
C’était au départ une thèse préparée sous la direction de mon ami Géradi Leroy, hélas disparu. Il aurait été très dommageable que celle-ci restât méconnue. Aussi, sa publication est-elle à la fois une forme d’hommage à Géraldi Leroy et de reconnaissance pour une aventure intellectuelle marquée par la rigueur autant que par une ouverture d’esprit qui a conduit Pascale Auditeau à traiter de toute la production romanesque consacrée à la guerre de 1870, quels qu’en furent le genre ou le statut.
Et c’est d’abord la littérature dite populaire celle qui, chapitre après chapitre, paraît en feuilletons dans les journaux qui retient son attention. Cette littérature est une réécriture d’une guerre qui fut, pour la France, une humiliante défaite. Face à la figure de « l’ogre allemand » ou prussien, elle développe une image héroïque des soldats français.
Ainsi en est-il dans l’œuvre d’Edmond About, au départ reporter, et dans celle de Gustave Aimard, qui nous offre dans son roman intitulé Les scalpeurs blancs une description de la bataille de Coulmiers et celle de « quelques faits glorieux oubliés par la dédaigneuse histoire ».
Dans le même sens, il y a les œuvres d’Edmond Ladoucette, inspirées de Dumas, dont L’orphelin de Bazeilles. Il y a les œuvres de Ponson du Terrail dont, en représailles, la maison de Fay-aux-Loges fut brûlée. Il y a les descriptions dues notamment à Emile Richebourg des douleurs de l’occupation avec les pillages et violences de toutes sortes. Il y a aussi l’évocation des amours compromises, comme dans l’œuvre de Charles Deslys intitulé Le blessé de Gravelotte. Et il y a encore les références aux « turcos », ces soldats natifs des colonies.
Contre les soldats français forcément – et caricaturalement – héroïques, il y a les adversaires constamment comparés à ces sauterelles « voraces » qui « grouillent ». L’un des intérêts du livre de Pascale Auditeau tient ainsi à ce qu’elle attache une grande importance aux champs sémantiques et aux métaphores filées, témoignages des présupposés et idées toutes faites de la période.
Mais ces visions héroïques des soldats français, pour justes qu’elles puissent être dans un certain nombre de cas, ne sauraient faire oublier la réalité de cette guerre, qui fut une lourde défaite, qui se solda pour la France par 139 000 morts et 143 000 blessés.
Aussi, Pascale Auditeau en vient dans la seconde partie de son ouvrage aux « visions critiques », ou simplement réalistes de cette guerre. Déjà, Alphonse Daudet – celui des Lettres de mon moulin – s’était lamenté devant « cette France vaincue et humiliée » et dont il donnait une vision « âpre, caustique, cinglante ».
Arrive bientôt Emile Zola et son recueil de nouvelles écrites avec plusieurs de ses amis écrivains intitulé Les soirées de Médan et dont la préface annonce qu’il apportera « une note juste sur la guerre dépouillée du chauvinisme à la Déroulède, de l’enthousiasme faux jugé jusqu’ici nécessaire ». Leur but est de « décrire l’envers du décor », « les coulisses de la guerre ». Ainsi n’hésitent-ils à railler « la stupidité des officiers des deux nations belligérantes ».
Arrive aussi Maupassant qui apporte Boule de Suif dans Les sociétés de Médan et qui écrit, s’agissant de l’ensemble du recueil à Gustave Flaubert : « Ce ne sera pas antipatriotique mais simplement vrai ». Avec une rare virulence, en de multiples textes, Maupassant restitue « la violence du souvenir de la guerre et de ses charniers ». Pour lui « de telles tueries, si inhumaines, ne pouvaient décidemment pas être l’œuvre de l’homme ».
Arrive enfin Octave Mirbeau, auteur du Calvaire, qui dut renoncer à la publication de l’un de ses chapitres, « récit de nos désastres », « réquisitoire contre la guerre et la folie des hommes », trop réaliste sans doute comme l’étaient les écrits de Zola et de Maupassant qui rompaient radicalement avec la littérature édifiante et lénifiante des romans et feuilletons évoqués dans la première partie.
Et puis, Pascale Auditeau en vient dans sa troisième partie aux « visions spiritualistes » et à Léon Bloy, virulent pamphlétaire pour qui la guerre est « la conséquence directe de plusieurs siècles de déclin de la foi » et qui s’en prend directement aux « bourgeois, puissants et militaires ». Pour lui, la guerre est « l’enfer sur terre ». Elle est « barbare ».
Au total, ce livre fait revivre à la fois une page noire de notre histoire et une page – ou plutôt plusieurs pages, de notre littérature.
Il est précieux. J’espère que nombre de lecteurs se passionneront pour lui.
Jean-Pierre Sueur