Justice

  • Je tiens à saluer l’ouvrage consacré à la prison – qui est une vraie « somme » – que vient de publier Jean-Marie Delarue qui fut, de 2008 à 2014, le premier et l’infatigable « contrôleur général des lieux de privation de liberté ».

    Créé par une loi du 30 novembre 2007, ce « contrôleur » a pour mission de procéder à toute enquête et investigation au sein des prisons et autres lieux de privation de liberté. Les détenus peuvent le saisir ou lui écrire directement sans que leurs correspondances soient filtrées. Il dispose d’une totale liberté et indépendance dans l’exercice de ses prérogatives.

    C’est dire que Jean-Marie Delarue s’est investi pleinement dans cette mission. Il se déplaça constamment sur le « terrain », avec des équipes d’enquêteurs qu’il savait animer et coordonner. Il ne laissa rien dans l’ombre. Aucun sujet n’était tabou. Et ses rapports annuels – qu’il venait présenter au Sénat avec une totale lucidité – constituent une description au scalpel de notre système pénitentiaire. J’ajoute que sa successeure, Adeline Hazan, poursuit la tâche et la publication de rapports dans le même esprit.

    Travailler sur la prison, en parler, l’analyser, proposer de la réforme : tout cela n’est pas facile. Jean-Marie Delarue cite Robert Badinter qui déclarait : « Chaque fois que je me suis efforcé de faire progresser la condition carcérale, j’ai rencontré un climat d’hostilité et d’incompréhension. »

    Il cite aussi l’importante loi du 24 novembre 2009 qui dispose pourtant, en son article 22, que « l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L’exercice de ceux-ci ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention. »

    Il cite encore Michel Foucault dont l’œuvre monumentale – et discutable sur certains points – qui, s’agissant de la prison, a « fait disparaître le discrédit attaché en particulier dans la recherche universitaire à une institution jugée insignifiante par sa dépendance au système pénal, par "l’immobilité" de son fonctionnement et par la population pauvre et de surcroît infractionniste qui l’occupe. »

    Et la « somme » de Jean-Marie Delarue, nourrie de ses rapports, est en effet une description rigoureuse de la prison, de ceux qui y séjournent et de ceux qui y travaillent, même si l’auteur pratique aussi, en référence à Malinowski, « l’observation participante. »

    L’ouvrage se déploie en trois grandes parties : la prison du Code pénal et du Code de procédure pénale ; la prison de la personne détenue ; la prison de l’administration pénitentiaire.

    Il n’élude aucune réalité ni aucune question : depuis la surpopulation, dont les effets sont délétères, jusqu’aux courtes peines de détention, peu justifiées, mais aussi les questions de l’architecture des prisons – les plus récentes n’étant pas exemptes de défauts, tant s’en faut ! –, les aménagements de peine, la préparation de la « sortie », les conditions de travail des personnels pénitentiaires, etc.

    Il s’achève sur une question essentielle : la prison est-elle « dépôt » ou « point de départ » ? Il plaide, bien sûr, pour qu’elle soit point de départ. On dit souvent que la fonction de la prison est de « protéger la société. » Elle doit aussi permettre au détenu de se « refaire », de se « réinsérer » – oui, de « repartir. » D’où l’importance du travail, de la socialisation, de tout ce qui prépare la sortie. Rien n’est pire que ce que l’on appelle les « sorties sèches. » Je pense souvent à cette autre phrase Robert Badinter : « La première cause de la récidive, c’est la condition pénitentiaire. »

    Je n’imagine pas qu’on puisse lire d’une traite les 877 pages de la somme de Jean-Marie Delarue, bien que l’écriture en soit très claire. Mais ce sera, à coup sûr, un livre de référence, auquel il sera salutaire, pour tous ceux qui réfléchissent à ces difficiles questions à l’écart de toute démagogie, de se référer fréquemment.

    Jean-Pierre Sueur

     
  • Je signale tout particulièrement les deux articles très précis et documentés de Christophe Ayad, parus dans Le Mondedu 31 mai, qui portent sur un sujet essentiel par rapport auquel je me bats depuis près de dix ans (…et je continuerai !) : la reconnaissance trop attendue des prérogatives du juge français pour ce qui est des crimes relevant de la Cour pénale internationale.
    Je précise toutefois, que si le « verrou » que constitue la « double incrimination » a pu être levé pour les génocides, l’autre « verrou » que constitue l’exigence de « résidence habituelle » en France, n’a, lui, toujours pas été levé, y compris pour les génocides.
    Jean-Pierre Sueur
  • Je tiens à signaler tout particulièrement le livre de François Guéroult, journaliste à France Bleu Orléans, intitulé SIDA, la peine et le sursis qui est paru aux Éditions Infimes.

    En décembre 2008, pour la première fois en France, une cour d’assises a jugé une affaire de contamination par le sida. C’était à Orléans.

    Si le récit retrace les faits tels qu’ils sont apparus lors du procès, François Guéroult nous emmène en immersion « dans la tête » de l’un des jurés, ou plus exactement au cœur de ses réflexions, de ses états d’âme, de ses questionnements, tels qu’il a pu les imaginer.

    Et le mérite de ce livre est de nous faire vivre ce procès de l’intérieur, en nous livrant une description minutieuse de tout ce qui faitun procès d’assises.

    Tout d’abord, il y a cette affaire : la contamination par le SIDA au sein d’un couple et l’absence de preuve matérielle. Le chef d’accusation ? « Administration de substance nuisible par conjoint suivie de mutilation ou infirmité permanente ». Pas de cadavre ni d’arme du crime. C’est « parole contre parole ». On entre alors dans toute la complexité des êtres humains : en l’absence de preuve matérielle, la difficulté de faire la part de la vérité, du ressenti, du non-dit. Le lecteur se retrouve happé par cette affaire, confronté aux états d’âme du juré – des jurés, chacun avec leur propre personnalité et leur situation personnelle –, à la connaissance du monde de la Justice, aux plaidoiries des avocats, etc.  

    François Guéroult nous livre une analyse psychologique des différents protagonistes, l’accusée, la victime, les jurés, les avocats, la présidente, l’ensemble des « acteurs » de ce procès et leur relation au monde qui les entoure, les difficultés que peuvent connaître les journalistes face à ce premier « procès du SIDA » : comment faire entrer le drame de deux vies dans le temps ultra court de l’information radio ?

    Mais le mérite de cet ouvrage tient aussi et surtout à ce questionnement sur ce qu’est l’ « intime conviction ». François Guéroult nous en trace les contours : « La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves apportées contre l’accusé et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : « Avez-vous une intime conviction ? »

    L’intime convictionest au cœur de la difficulté de juger. Il ne s’agit pas alors de prendre une sanction « pour l’exemple » ou « au bénéfice du doute ». L’avocat de la défense illustre bien toute la difficulté de l’exercice : « On ne répare pas un drame par une injustice ».

    Au final, un jugement, cinq ans de prison assortis de sursis. C’est un jugement qui ne fâche personne.

    Mais François Guéroult suppose que le juré rentre chez lui avec cette question : « La cour d’assises n’a osé ni l’innocence ni la prison. Mais a-t-elle osé la justice ? »

    La question reste ouverte. François Guéroult n’y répond pas. Il ne propose aucune réponse toute faite. Il pose les questions, présente des témoignages et une analyse. Son livre donne assurément matière à réflexion sur un sujet complexe. Ce n’est pas le moindre de ses mérites.

    Jean-Pierre Sueur

    • Éditions Infimes, 275 pages, 13 €

     

     

  • Les mesures annoncées le 6 janvier par le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, afin d'améliorer le fonctionnement de la Justice dans notre pays appellent de ma part une réaction contrastée. Il y a des projets et des choix assurément positifs. D'autres le sont moins, et des interrogations subsistent.
    D'abord, il est incontestablement positif que les moyens budgétaires soient accrus (le budget de la Justice atteindrait onze milliards d'euros en 2027) et que la création de 10 000 emplois soit prévue. J'ai suffisamment eu l'occasion de dire chaque année, et depuis longtemps, que les moyens alloués à la Justice étaient notoirement insuffisants, que le nombre de postes de magistrats, greffiers et autres personnels l'était tout autant, et de rappeler à la tribune du Sénat que nous étions, à cet égard, parmi les derniers de la classe de l'Europe et de l'OCDE, pour ne pas saluer ces annonces.
    Il faut, bien sûr, veiller à ce qu'elles entrent dans les faits. Il ne faudrait pas, en particulier, qu'une inflation persistante ait pour conséquence de réduire substantiellement le montant des crédits annoncés.
    On nous dit qu'il y aura une loi de programmation – ce ne sera ni la première ni la dernière ! –, mais j'ajoute que cela ne suffit pas à garantir le respect des engagements pris, car nos finances publiques restent régies par le dogme de l'annualité budgétaire –ce que je regrette – qui limite l'effet coercitif de telles lois et invite donc à une constante vigilance.
    Positifs également sont l'accent mis sur la justice civile, celle du quotidien, ainsi que la nouvelle rédaction annoncée du code de procédure pénale devenu trop complexe. S'agissant de la justice civile, le fait de recourir au traitement amiable des conflits (ce que font déjà les conciliateurs de Justice) peut aller dans le bon sens, à condition que l'on n'en fasse pas un remède miracle, ce qui serait illusoire : dans nombre de cas, la procédure judiciaire, avec un ou plusieurs juges, des avocats, etc., restera indispensable.
    Je suis, en revanche, très réservé sur la généralisation en cours des cours criminelles départementales. Nicole Belloubet avait mis en place une expérimentation à cet égard. Ces nouvelles instances se caractérisent par la suppression du jury populaire, à l'encontre de ce qui existe dans les cours d'assise. Alors qu'avant de prendre ses fonctions, Éric Dupond-Moretti avait déclaré qu'il n'accepterait jamais la suppression du jury populaire, voilà qu'à peine nommé il a généralisé l'expérimentation, et donc la suppression du jury populaire, sans qu'on n'ait jamais disposé du moindre résultat de l'expérimentation. Or, les témoignages (et les tribunes écrites) de nombre de magistrats montrent que cette généralisation en s'est traduite ni par une réduction des délais de jugement, ni par des améliorations dans la procédure, ni par des économies. De surcroît, il y a plus d'appels à la suite des décisions des cours criminelles départementales qu'après les décisions des cours d'assise.
    Enfin, les mesures concernant les prisons sont très décevantes. Et elles ne prennent pas en compte les judicieuses propositions du rapport des États généraux de la Justice. On nous annonce une « circulaire sur les Travaux d'Intérêt général » – ce qui ne mange pas de pain ! On nous redit que 15 000 places de prison seront construites d'ici 2027, alors que le rapport des États généraux rappelle que les « nouvelles places » créées depuis trente ans n'ont en rien réduit la surpopulation, qu'il faut prioritairement restaurer les établissements insalubres et surtout cesser de considérer que la seule peine réelle est la détention et donner une large place aux peines alternatives à la détention. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, a donné l'exemple de trois pays, l'Espagne, l'Allemagne et les Pays-Bas qui, en suivant cette méthode, ont abouti à mettre fin à la surpopulation carcérale. Mais non ! Avec ce qui est annoncé, on continuera d'entasser trois détenus dans une cellule de neuf mètres carrés, dont l'un dormira sur un matelas à même le sol, la France continuera d'être condamnée pour indignité des conditions pénitentiaires, et les conditions d'incarcération continueront à être défavorables à la réinsertion des détenus. Bref, c'est le contraire de ce qu'il faudrait faire. Les auteurs du rapport des États généraux de la Justice avaient d'ailleurs demandé, en toutes lettres, « la mise en place d'un mécanisme de régulation de la population carcérale par la définition, pour chaque établissement pénitentiaire, d'un seuil d'alerte et de criticité » – ce à quoi le Garde des Sceaux prend la responsabilité de ne donner aucune suite. 

    Jean-Pierre Sueur

     

  • Après l’audition de Nicole Belloubet (voir la vidéo), ministre de la Justice, garde des Sceaux, par la Commission des lois du Sénat, comme après les propos tenus par le président de la République, Emmanuel Macron, lundi soir, de nombreuses questions (et notamment celles que j’ai posées avec d’autres collègues) restent posées sur le « tracking », autrement dit le fait d’utiliser des données issues de téléphones mobiles dans la future phase de déconfinement.

    Mes interrogations sont simples. Si la démarche est « volontaire », pourra-t-elle être efficace, compte tenu des refus qui seront apportés et du fait qu’un nombre non négligeable de Français ne disposent pas d’un « smartphone » ?

    Et s’il était envisagé qu’elle devienne obligatoire, ce serait alors contraire au droit français et au droit européen.

    Jean-Pierre Sueur

  • Le Figaro, 25 mai 2021

  • Lors de l’audition, ce mercredi, d’Éric Dupond-Moretti, nouveau garde des Sceaux, par la commission des lois du Sénat, je lui ai posé trois questions restées sans réponse - ou sans réponse précise.

    La première portait sur la nomination des magistrats du parquet, qui devrait être décidée par le seul Conseil supérieur de la magistrature, sans aucune intervention du pouvoir exécutif, selon une proposition de loi adoptée dans les mêmes termes par l’Assemblée Nationale et le Sénat en 2013. Le garde des Sceaux s’y était dit favorable. Mais au terme de ses réponses confuses, nous ne savons toujours pas s’il s’agira d’une réforme constitutionnelle sur ce seul point présentée au Congrès - elle aurait alors de grandes chances d’être adoptée - ou d’un point parmi d’autres dans une réforme intégrant nombre d’autres sujets (comme le nombre de parlementaires), ce qui rendrait son adoption beaucoup plus problématique.

    Ma seconde question portait sur le maintien du jury populaire, auquel Éric Dupond-Moretti avait dit son indéfectible attachement. L’expérimentation de sept « tribunaux criminels départementaux » instaurée par Nicole Belloubet avait pour objet, ou du moins pour effet, de tester leur suppression. Mais son extension, à la faveur du Covid, tenant lieu, en l’espèce, de prétexte, à trente, puis dix-huit départements, ne laissait pas de doute sur l’objectif de mise en cause du jury populaire. Or Éric Dupont-Moretti s’est refusé à revenir, aussi peu que ce soit, sur ce processus.

    Ma dernière question portait sur l’important sujet de la réforme de la justice des mineurs. Nous demandons depuis longtemps un vrai débat au Parlement et non une ordonnance sur cette question essentielle. Là encore, le garde des Sceaux n’a pas suivi notre proposition simple consistant à transformer le projet d’ordonnance en projet de loi afin que le Parlement puisse en débattre vraiment, plutôt que celui-ci n’intervienne que pour une éventuelle et tardive « ratification ».

    JPS

    >> Dans la presse : 

     

  • Lors de sa récente conférence de presse, le président de la République, Emmanuel Macron, a évoqué nombre de sujets sur lesquels nous reviendrons.

    Je m’en teindrai aujourd’hui à six remarques sur la partie de son propos consacrée aux institutions.

    Bien qu’on s’y réclame volontiers de Montesquieu, notre pays ne met pas toujours en pratique – et c’est un euphémisme – la nécessaire séparation des pouvoirs entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. J’ai pu le constater, le dire et le redire à propos d’une récente commission d’enquête. Il m’apparaît donc que toute réforme constitutionnelle devrait renforcer la séparation – et l’équilibre – des pouvoirs. Chacun sait que la Cinquième République se caractérise par un déséquilibre entre les prérogatives de l’exécutif et du législatif. Une future réforme devrait – à mon sens – à tout le moins réduire ce déséquilibre en renforçant les prérogatives du Parlement.

    Il y a depuis plusieurs années – me semble-t-il – un assez large accord sur trois mesures. D’abord la suppression de la Cour de justice de la République. Il n’est pas justifié en effet que des politiques soient jugés pour des actes commis dans l’exercice de leur fonction par un tribunal constitué majoritairement de politiques. En second lieu, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature qui fonderait enfin l’indépendance du parquet pour ce qui est des nominations et procédures disciplinaires. Cela éviterait que la France se fasse régulièrement sanctionner par la Cour européenne des droits de l’Homme qui considère que l’indépendance des magistrats du parquet français est entachée par leur mode de nomination. En troisième lieu, la réforme du Conseil constitutionnel. La présence en son sein des anciens présidents de la République – qui avait été décidée afin que Vincent Auriol et René Coty perçoivent une retraite – n’a plus aucune justification. Elle engendre de surcroît, depuis la création des questions prioritaires de constitutionnalité, des conflits d’intérêt. Puisque, sur ces trois points, il est possible d’obtenir la majorité requise, pourquoi ne pas les soumettre en priorité au Congrès ?

    Y a-t-il trop de parlementaires ? Soyons clairs, les chiffres de 577 députés et de 348 sénateurs ne sont pas, pour moi, immuables. Mais je m’interroge sur les conséquences d’un double mouvement qui réduirait très sensiblement le nombre de parlementaires et introduirait une part importante de proportionnelle à l’Assemblée Nationale. La proportionnelle a assurément l’avantage de mieux représenter les différents courants politiques. Mais la proportionnelle nationale a pour effet d’accroître le poids des instances nationales des partis. Les députés ainsi élus n’ont pas d’attache avec un territoire. Toute autre était la logique de la proportionnelle départementale que nous avons connue entre 1986 et 1988 qui maintenait l’ancrage des députés sur le terrain – celui d’un département. Or, il faut craindre que l’effet conjugué des deux mesures précitées soit de réduire le rapport de proximité entre les parlementaires et les habitants. Ainsi en serait-il s’il n’y avait plus qu’un sénateur et un – ou deux – députés dans nombre de départements – et cela à l’heure où l’on insiste tant sur la nécessaire proximité.

    Je partage la position du président de la République sur la modification des conditions posées pour la mise en œuvre du « référendum d’initiative partagée ». Il est clair que dans la rédaction actuelle de la Constitution, il est pratiquement impossible de remplir les conditions permettant qu’un tel référendum ait lieu.

    Je partage aussi sa position sur le « vote blanc ». Même si c’est populaire. Je crois que c’est une fausse bonne idée. Ainsi, faire du vote blanc un suffrage exprimé conduirait à remettre en cause l’article 7 de la Constitution qui dispose que « le président de la République est élu à la majorité des suffrages exprimés. » Ou bien il faudrait organiser un nombre indéterminé de tours de scrutins. Ou il faudrait accepter que le président de la République – et d’autres élus – soient élus à la majorité relative… Par ailleurs, comme l’a fait remarquer Patrick Roger dans Le Monde, une telle mesure aurait pour effet que, lors d’un référendum, les « oui » devraient obtenir plus que de voix que le total des « non » et des bulletins blancs pour être adopté !

    En revanche, je ne partage pas l’engouement qui apparaît au sujet des « tirages au sort ». Je suis pour ma part attaché à ce que les citoyens se déterminent en choisissant des candidats qui présentent des programmes et des projets. Dans ce cas, leur vote a un sens. Et la majorité ou la minorité correspondent à des choix. Là encore, s’en remettre à l’aléa du tirage au sort m’apparaîtrait être une fausse bonne idée.

    Jean-Pierre Sueur

  • Jean-Pierre Sueur est intervenu au sujet de l’indépendance de la Justice en séance publique au Sénat, en préalable au débat sur les États généraux de la Justice, le mardi 4 octobre 2022.

  • Jean-Pierre Sueur a posé ce mercredi 30 octobre la première question d’actualité au gouvernement. Il a interpellé la Garde des Sceaux sur la publication d’un document établi par son cabinet mettant en regard, dans de nombreuses villes, des projets de création ou de suppression de postes de juge d’instruction et les résultats électoraux d’un parti politique. Il a dénoncé cette scandaleuse atteinte à la neutralité du service public. Il lui a demandé 1) si elle était informée de l’établissement de ce document, 2) si elle avait demandé qu’il soit établi, 3) si le cabinet du Premier ministre, auquel il a été transmis, lui avait donné instruction de l’établir, 4) si elle avait diligenté une enquête sur ces faits, 5) quelles sanctions elle prévoit de prendre à l’égard de ces faits très graves.

    Reprenant la parole après la ministre, Jean-Pierre Sueur a dit qu’elle n’avait répondu à aucune des cinq questions qu’il a posées. Il a ajouté : « Vous pensez peut-être que c’est habile. Mais c’est consternant. Vous couvrez une intolérable atteinte à la neutralité du service public de la Justice dont vous avez personnellement la charge. C’est grave pour notre République ».

     
    Dans la presse :
  • Jean-Pierre Sueur est intervenu au Sénat lors du débat sur l'irresponsabilité pénale.

    Il a souhaité un travail approfondi du Parlement sur ce sujet complexe. Il a dit son attachement à l’indépendance de la Justice, rappelée récemment par la présidence et le procureur général de la Cour de cassation suite à des déclarations faites au plus haut niveau de l’État.

    Il a cependant ajouté qu’il comprenait, s’agissant de l’horrible assassinat de Sarah Halimi, que l’arrêt évoquant à la fois un acte antisémite et l’irresponsabilité de son auteur pouvait apparaître contradictoire dans ses termes.

    Il a dit que suite à la « demande d’un procès », la meilleure procédure lui paraissait être celle prévue par la loi de 2008 qui dispose que l’irresponsabilité ne peut être établie que suite à un débat public et contradictoire devant la Chambre de l’instruction, permettant l’expression de toutes les parties ainsi que des experts.

    Jean-Pierre Sueur a interrogé la garde des Sceaux sur les exceptions possibles au caractère public de ce débat, estimant que le débat devait pratiquement toujours être public.

    Il a cité une tribune de l’avocate Laure Heinich pour laquelle le coupable, K. Traoré, « aujourd’hui enfermé en hôpital psychiatrique ne pourra sortir que sur décision conforme de deux psychiatres, établissant qu’il n’est plus dangereux ni pour lui, ni pour nous. Ce régime est largement aussi strict que le régime carcéral et bien plus protecteur en termes de sécurité publique puisqu’il y est soigné. »

    Jean-Pierre Sueur a conclu en disant que, quelles que soient les évolutions possibles de la loi, suite à un bilan des effets de la loi de 2008, la justice sera toujours rendue, après des expertises parfois contradictoires,  par des juges qui prendront des décisions humaines, forcément humaines, en leur intime conviction.

    >> Lire le texte intégral de son intervention

    Dans la presse

    >> L'article de Jean-Baptiste Jacquin dans Le Monde du 21 février 2020 intitulé « L’affaire Sarah Halimi relance le débat sur l’irresponsabilité pénale »

    >> Public Sénat du 18 février

    >> La République du Centre du 22 février

  • Jean-Pierre Sueur est intervenu lors de la discussion du budget de la Justice. Il a souligné combien, depuis longtemps, ce budget était insuffisant. Même si le budget de la Justice augmente – mais insuffisamment – depuis 2002,  le coût de la Justice est aujourd’hui de 65,90 €  par habitant et par an en France, contre 122 € en Allemagne ou en Grande-Bretagne et  la France est, pour le budget de la Justice rapporté au PIB, au 37e rang parmi les 41 pays du Conseil de l’Europe.
    Il a d’autant plus regretté que les crédits inscrits pour 2020 soient inférieurs de 150 millions d’euros à ceux prévus dans la programmation votée dans la loi de 2017.
    Il a souligné que, alors que la surpopulation carcérale atteignait des records (71 828 personnes au 1er avril 2019), la mise en place des peines alternatives à la détention marquait le pas. 
    Il a appelé de ses vœux un débat approfondi sur la justice des mineurs que le gouvernement a prévu de réformer par voie d’ordonnance.
    Il a enfin dit son désaccord avec la réforme de l’aide juridictionnelle introduite par voie d’amendement au projet de loi de finances par l’Assemblée Nationale, qui, si elle restait en état, rendrait son obtention plus difficile pour un certain nombre de justiciables. 
     
     

  • Jean-Pierre Sueur a été l’orateur du groupe socialiste au Sénat lors du débat sur deux propositions de loi sur l’irresponsabilité pénale. 
    Il a déclaré d’emblée que le crime «  terrible, abominable, barbare » dont a été victime Sarah Halimi a suscité une intense émotion dans la nation tout entière. Il a dit l’incompréhension suscitée par la décision de la Justice qui a considéré que ce crime était antisémite et que son auteur était irresponsable : « Comment un acte antisémite peut-il être irresponsable ? S’il y a volonté, il ne peut y avoir irresponsabilité. »
    Il a considéré que la proposition consistant à reporter le débat de la chambre de l’instruction à la formation de jugement ne serait pas judicieuse : le jury populaire ne jugera pas de l’irresponsabilité, il fixera des peines. 
    Tout en affirmant son attachement à l’article 122-1 du code pénal (position unanime du Sénat), il a fait trois propositions concrètes. Celles-ci visent notamment à reconnaître la responsabilité pénale de la personne qui a volontairement provoqué sa perte de discernement aux fins de commettre l’infraction par la consommation d’alcool ou de psychotrope. 
    Si celle-ci n’a pas été retenue à ce stade par le Sénat, il est possible qu’elle revienne, sous une forme ou une autre, dans le projet de loi que prépare Éric Dupond-Moretti, et que celui-ci a évoqué en séance.
    Il a conclu : « Il faut garder l’article 122-1, mais le statu quo est impossible. Il faut avancer avec réalisme et pragmatisme pour que la loi soit comprise par nos concitoyens. »
     

    >> Lire les autres interventions de Jean-Pierre Sueur :
    Dans la presse :
  • Le Monde, 17 décembre 2021

     
  • Jean-Pierre Sueur avait déposé en 2019 une proposition de loi sur les biens mal acquis. Celle-ci a été adoptée par le Sénat. Elle avait pour objet de faire en sorte que les biens issus de la corruption internationale confisqués par la Justice reviennent effectivement aux populations spoliées (populations des pays pauvres, le plus souvent).

    Bien que le gouvernement se fût engagé à une adoption de ces dispositions pour fin 2019… cette proposition de loi attend toujours.

    C’est pourquoi Jean-Pierre Sueur est revenu sur ce sujet lors du débat sur le budget de la Justice, évoquant notamment l’article de Patrick Lefas et Francine Lepany paru dans Le Monde du 3 décembre.

     
    Son intervention (compte-rendu analytique)

    M. Jean-Pierre Sueur. – La corruption transnationale représente entre 20 et 40 % de l’aide mondiale au développement. Des pays pauvres sont honteusement pillés par leurs prétendues élites qui achètent des hôtels particuliers à Paris et sur la Côte d’Azur. L’an dernier, le Sénat a adopté à l’unanimité une de mes propositions de loi afin que les biens réquisitionnés par la justice aillent aux populations spoliées. La ministre Mme de Montchalin s’était engagée à ce que le sujet soit réglé en loi de finances. L’Assemblée nationale a voulu faire un rapport qui a abouti aux mêmes conclusions. Mais cette question est toujours paralysée. J’ai sollicité un rendez-vous auprès de vous et je serais heureux que vous puissiez nous recevoir pour débloquer cette situation. Dans l’affaire Obiang - le vice-président de la Guinée Équatoriale -, le tribunal de Paris a considéré que l’État ne pouvait « moralement » bénéficier de la confiscation des biens. Des associations, comme Tranparency International, se sont mobilisées. S’il y a une volonté, nous pourrons régler cette question.

    M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. – Je comprends qu’il s’agit d’un amendement d’appel. Retrait ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. – Je suis sensible à cette question. Je connais bien ces dossiers pour y avoir été confronté dans ma vie antérieure, alors que je n’étais pas pharmacien (Sourires) Avis favorable à ce que nous nous rencontrions pour avancer le plus vite possible. Retrait ?

    M. Jean-Pierre Sueur. – Je ne me prévaux de rien de moins que de l’unanimité du Sénat. Compte tenu de cette volonté commune, je retire cet amendement.

  • Jean-Pierre Sueur a interpellé Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur la suite donnée à sa proposition de loi au sujet de la restitution des biens acquis, adoptée à l’unanimité par le Sénat en mai 2019, et ce, alors que la représentante du gouvernement, Amélie de Montchalin, s’était formellement engagée à ce que les ultimes problèmes soient réglés dans la loi de finances en décembre 2019. Le sujet est important : il s’agit de faire en sorte que les importants montants de la corruption internationale (50 % de l’aide mondiale au développement selon l’ONU) reviennent aux populations spoliées. Nicole Belloubet a indiqué que deux options étaient possibles, l’une passant par l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), l’autre par l’agence française de développement (AFD), et a évoqué une « mise en œuvre dans les meilleurs délais. » Jean-Pierre Sueur espère que ce nouvel engagement sera tenu. Il restera très vigilant sur ce sujet.

    >> Lire son intervention, la réponse de Nicole Belloubet et la réplique du Jean-Pierre Sueur

    >> Voir la vidéo de l'ensemble

     

  • La République du Centre a consacré dans son édition du 11 juin deux pages aux dispositions visant à lutter contre la « corruption internationale » et à faire en sorte que les biens dérobés, lorsqu’ils sont confisqués, reviennent aux populations spoliées – sujets sur lesquels Jean-Pierre Sueur travaille depuis longtemps et qui vont se traduire très prochainement par des mesures législatives très précises.

    >> Lire les articles de Florent Buisson

  • Intervenant au Sénat sur le budget de la Justice, Jean-Pierre Sueur a salué l’augmentation des crédits de 8 %, tout en la relativisant puisque l’inflation réduira, de fait, une part importante de cette augmentation, et en rappelant les comparaisons européennes montrant que nombre de pays accordent davantage de moyens à la Justice.
    Puisque l’augmentation budgétaire aura plus d’effet sur le domaine pénitentiaire que sur les moyens de la justice judiciaire, Jean-Pierre Sueur est revenu sur la question de la surpopulation pénitentiaire. Il a dit que les chiffres actuels étaient sans précédent, puisqu’il y a 71 669 détenus pour 60 715 places. Il a rappelé que dans trente-six maisons d’arrêt, le taux d’occupation était de plus de 150 % et que 2 000 détenus dormaient sur des matelas à même le sol dans des cellules de neuf mètres carrés où vivent trop souvent trois personnes, ce pour quoi la France avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme.
    Il a également rappelé que les États .généraux de la Justice avaient demandé une « régulation » des occupations des prisons  et il a plaidé contre le recours aux courtes peines, dont l’effet est souvent négatif, en particulier pour les jeunes, pour le développement des peines alternatives à la détention et pour des aménagements de peine, afin de réduire cette surpopulation qui ne permet pas d’œuvrer dans de bonnes conditions à la réinsertion des détenus à leur sortie de prison.
     

  • La sortie du « rapport Sauvé », issu des « États généraux de la Justice », sera passée presque inaperçue au milieu des flots de l’actualité du mois de juillet. C’est pourtant un document important. On y retrouve, comme ce fut le cas dans des rapports précédents, la « marque de fabrique » de Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’État, qui s’emploie à parler vrai sans complaisance ni démagogie.
    Ce rapport, riche et complet, appelle nombre de réflexions. Il invite surtout à d’importantes réformes, dont nous reparlerons – du moins je l’espère.
    Je me bornerai à ce stade à faire cinq remarques qui – loin s’en faut – n’épuiseront pas les sujets que j’aborderai !

    1. Comme tant d’autres analystes, praticiens du droit et politiques, Jean-Marc Sauvé et les équipes qui, avec lui, ont préparé ce rapport, font d’abord le constat de la notoire insuffisance des crédits que notre République consacre à la Justice. On le sait. Cela a été dit et redit : en pourcentage du Produit Intérieur Brut, nous sommes dans la dernière partie des États de l’Europe, ou encore de l’OCDE. Il faut donc, pour sortir de ce déficit chronique, un effort conséquent qui dure pendant un certain temps et permettre un vrai rattrapage, une vraie mise à niveau, au-delà des augmentations qui ont pu avoir lieu ces dernières années. D’ailleurs si l’on observe bien l’effet desdites augmentations, on voit que la politique pénitentiaire, sur laquelle je reviendrai ci-dessous, « absorbe » une part substantielle de celles-ci, sans impacter comme il le faudrait la situation des juridictions et de celles et ceux qui y travaillent. On nous dit qu’il y aura une « loi de programmation » ! Mais comme j’ai déjà connu, dans plusieurs domaines, nombre de « lois de programmation », cela ne suffit pas à me rassurer. Les « lois de programmation » sont pleines d’intentions louables. Mais elles se fracassent généralement contre le dogme de l’ « annualité budgétaire », cher à Bercy, en vertu duquel on ne peut véritablement engager les finances publiques que pour un exercice budgétaire – et donc un an. Ce qu’il faudrait, c’est un vrai engagement pour un « rattrapage » en dix ans, avec une avancée substantielle chaque année, qui serait « sacralisée » et s’imposerait absolument à tout gouvernement quel qu’il soit. En serons-nous capables ?

    2. Il est une nouvelle fois question de la réforme du Parquet. Le rapport préconise que les magistrats du Parquet soient nommés comme ceux du siège sur « avis conforme » du Conseil Supérieur de la Magistrature – tout en maintenant un lien existant entre ceux-ci et le pouvoir exécutif dès lors que celui-ci met en œuvre une politique pénale à caractère général, à l’exclusion de toute instruction à caractère individuel. Cet « avis conforme » éviterait que la France soit régulièrement sanctionnée et rappelée à l’ordre par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Cette réforme qui instaurerait « l'avis conforme » et qui suppose une réforme de la Constitution a d’ores et déjà été votée par l’Assemblée nationale et le Sénat. Elle pourrait donc être soumise au Congrès avec – du moins je l’espère – de bonnes chances de succès… Cela n’a pas été le cas sous le précédent quinquennat, ni dans celui qui l’a précédé. La cause en est, du moins pour ce qui est du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, dans la volonté de celui-ci de faire UNE grande réforme constitutionnelle, englobant nombre de sujets divers – et cela n’a pas été possible ! Je plaide donc pour le pragmatisme qu’appelle d’ailleurs, davantage encore, la situation présente. Pourquoi ne pas faire plusieurs réformes constitutionnelles portant sur un sujet qui serait (et qui, je l’espère, sera) mûr, comme celui-là ?

    3. Le rapport Sauvé préconise – comme cela fut souvent fait – la suppression de la Cour de Justice de la République. Ce serait salutaire ! Il est difficilement défendable, en effet, que les politiques soient jugés par une instance majoritairement composée de politiques. Quel que soit le souci d’impartialité de ces derniers, cet état des choses est inéluctablement perçu comme une forme de corporatisme. Il serait donc justifié que les politiques relèvent, y compris dans les actes accomplis dans leur fonction de membres du gouvernement – des juridictions de droit commun, dès lors qu’existerait – comme le propose à juste titre la commission Sauvé – un « filtre » mis en œuvre par des magistrats indépendants, afin d’éviter le « harcèlement judiciaire » à l’égard de ministres, dont on a vu que ce n’était pas une vue de l’esprit ! Mais, là encore, cela relève d’une réforme constitutionnelle sur la base d’un texte qui serait voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat. Dans la situation politique actuelle, chacun voit que la bonne solution serait de s’appuyer sur un projet de loi constitutionnelle dont l’objet se limiterait à cette réforme essentielle.

    4. Le rapport Sauvé met également l’accent sur nombre de dysfonctionnements. Le principal d’entre eux est celui qui tient à l’augmentation significative des procédures d’appel. Tout se passe comme si – écrit-il en substance – la première instance était, en quelque sorte, un « tour de chauffe » et que l’on attendait de l’appel qu’il soit le vrai jugement. Chacun voit que cette tendance, qui se développe, alourdit et ralentit évidemment les procédures. D’où les préconisations justifiées du rapport pour renforcer les effectifs et les moyens des tribunaux judiciaires (de première instance) et pour revoir la conception de « carrières » afin que les « premières instances » comptent nombre de magistrats chevronnés. D’autres précieuses remarquent portent sur la justice des mineurs. Il est redit – cela a été tellement dit – que les courtes peines de détention infligées aux mineurs ont des effets négatifs – et que les longs délais que l’on constate encore trop souvent entre les actes de délinquance commis par des mineurs et la sanction ont pareillement des effets très négatifs.

    5. Sur les prisons, le rapport Sauvé a le courage de parler de « régulation carcérale » et de « seuil critique » d’occupation – ou de suroccupation – des établissements pénitentiaires. On croit toujours qu’il est nécessaire de construire de nouvelles prisons, alors qu’il faut développer les peines alternatives à la détention – souvent plus    efficaces – et rénover les prisons existantes, dont certaines sont indignes, comme le montrent les rapports des Contrôleurs des Lieux de Privation de Liberté. De surcroît, la politique mise en œuvre est coûteuse, d’autant plus qu’elle a, il y a quelques années, été plombée par le recours systématique aux partenariats public-privé pour la construction de nouvelles prisons, ce dont nous continuons de subir – et subirons encore longtemps – les conséquences financières. Il faut assurément développer les peines alternatives – mais aussi tout faire pour que la prison prépare mieux les détenus à leur réinsertion. Il y a longtemps déjà, Robert Badinter disait que la condition pénitentiaire était la première cause de récidive. Je crains que cette parole soit encore d’actualité dans un certain nombre de situations !
     
    J’en reste là, à ce stade, ayant conscience d’omettre bien d’autres sujets. J’espère avoir cependant montré combien ce rapport était précieux. La question c’est, encore et toujours, l’usage qui en sera fait.
     
    Jean-Pierre Sueur
  • Jean-Pierre Sueur avait déposé en 2012 une proposition de loi pour que le juge français puisse exercer pleinement ses compétences pour ce qui  est des infractions visées par le statut de la Cour Pénale Internationale (CPI), c’est-à-dire les génocides, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
    En effet, le traité de Rome, qui a fondé la CPI, prévoyait explicitement que celle-ci fût complémentaire par rapport aux juridictions nationales.
    En rédigeant cette proposition de loi, Jean-Pierre Sueur reprenait les positions de Robert Badinter et de la coalition des associations qui s’étaient constituées à ce sujet.
    La proposition de loi prévoyait la suppression des quatre « verrous » qui font obstacle à ce que le juge français exerce pleinement ses compétences telles que prévues par ce traité.
    Cette proposition était votée à l’unanimité par le Sénat en 2013, le texte ayant toutefois été amendé afin que l’un des « verrous » – celui prévoyant le monopole du parquet pour diligenter les poursuites – fût maintenu, les trois autres étant supprimés.
    Malgré de multiples interventions, Jean-Pierre Sueur n’a pas pu obtenir entre 2013 et 2018 que le texte fût inscrit à l’ordre du jour du Sénat.
    C’est pourquoi il a déposé un amendement à l’actuel projet de loi « Justice » reprenant les termes de la proposition de loi adoptée par le Sénat.
    Après une concertation avec le gouvernement, des avancées ont pu être obtenues. Elles sont donc intégrées dans le projet de loi.
    Elles consistent d’abord en la suppression du « verrou » imposant que la CPI « décline sa compétence » avant que les poursuites puissent être engagées par le juge français. Le gouvernement a, en effet, considéré qu’en vertu du principe de subsidiarité, cette clause excédait « ce qu’impose le traité de Rome. »
    Un autre verrou concerne la double incrimination. Jean-Pierre Sueur a toujours considéré qu’il devait être levé puisqu’il ne permet au juge français d’agir que si l’incrimination est identique en droit français et dans le droit d’un pays étranger qui ne partage pas toujours – et c’est dans certains cas, un euphémisme – la position de la France en matière de droits humains.
    Le gouvernement a accepté la suppression de ce verrou pour les génocides. C’est donc la seconde « avancée » qui a été obtenue. Reste à obtenir qu’il soit également supprimé pour les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
    Le dernier verrou concerne la « résidence habituelle » en France de la personne susceptible d’être incriminée. Jean-Pierre Sueur a toujours combattu cette notion, considérant que la présence sur le territoire français devrait suffire. Comme n’a cessé de dire Robert Badinter : « Conserver la condition de résidence habituelle signifie que nous ne nous reconnaissons compétents pour arrêter, poursuivre et juger les criminels contre l’humanité, c’est-à-dire les pires qui soient, que s’ils ont eu l’imprudence de résider de façon quasi permanente sur le territoire français. »
    S’il constate qu’il y a eu « des pas en avant », Jean-Pierre Sueur considère que « nous ne sommes pas au bout du chemin. » Il continuera d’œuvrer, à la faveur de prochains projets et propositions de loi pour obtenir la levée des deux verrous qui subsistent, au moins partiellement, liés à la double incrimination et à la résidence habituelle.

    >> Lire l'article de Jean-Baptiste Jacquin publié par Le Monde

    >> Le compte-rebndu intégral de l'intervention de Jean-Pierre Sueur en séance publique

    >> La vidéo de son intervention