Je ne vois vraiment pas ce qu’on peut reprocher au Sénat dans la mise en œuvre de la commission d’enquête sur « l’affaire Benalla » et dans les conclusions qu’il en a tirées.
Si bien que je trouve non seulement excessives, mais absolument injustifiées les réactions, évidemment coordonnées, qui ont suivi la décision du bureau du Sénat, feignant de s’indigner que celle-ci fût un « procès politique. »
Il n’en est rien.
Et, pour ceux qui en douteraient encore, j’ajouterai les précisions suivantes.
Ayant été élu rapporteur – conjointement avec ma collègue Muriel Jourda – de la commission d’enquête parlementaire qui a été mise en place au Sénat (comme d’ailleurs à l’Assemblée Nationale) à la suite des graves événements que chacun connaît maintenant, je puis témoigner que nous nous sommes acquittés de notre tâche avec une totale objectivité.
Notre but était clair. C’est celui que la Constitution assigne aux commissions d’enquête parlementaires en son article 51-2 : contrôler le gouvernement et évaluer les politiques publiques (en l’espèce, la sécurité du chef de l’État).
Nous nous sommes attachés, en dehors de toute autre considération, à rechercher la vérité, à mettre à jour les dysfonctionnements et graves manquements qui ont eu lieu, à en comprendre les causes et à faire des recommandations pour que cela ne se reproduise plus.
Nous avons procédé à de nombreuses auditions. Elles ont toutes été télévisées. Si bien que tous les Français qui le souhaitaient ont pu regarder tout ou partie des cinquante heures environ que cela représente. Nos questions ont été publiques. Chacun a pu mesurer que nous avons fait preuve de rigueur, de vigilance et n’avons cédé, à l’égard de quiconque, à aucune complaisance.
Nous avons publié notre rapport. Celui-ci incluait une lettre au président du Sénat par laquelle nous faisions part des conclusions qui, à notre sens, devaient en être tirées en vertu de la loi – et de la loi seule, en dehors de toute autre considération – de manière à ce que le bureau du Sénat puisse statuer à son initiative, conformément à la procédure en vigueur. Il y a dans le rapport – chacun peut le vérifier – à la suite de notre lettre, toutes les déclarations, tous les documents et toutes les preuves qui justifiaient nos conclusions.
Lors de la publication du rapport, un constat s’est imposé.
Aucune des affirmations du rapport, aucun de ses paragraphes, aucune de ses lignes n’ont été contestés ou contredits par personne. C’est un fait.
Chacun sait que si le rapport n’avait pas été sérieux, si des affirmations avaient été suspectées d’être démenties… cela aurait été fait, et vite fait !
Mais là, rien.
Juste un débat connexe sur la « séparation des pouvoirs » sur lequel nous sommes – là aussi – très clairs, puisque nous avons strictement appliqué les articles 24 et 51-2 de la Constitution.
Le 21 mars, le bureau du Sénat s’est réuni. Je précise qu’il a entendu un nouveau rapport expertisant notre rapport, rédigé sous l’autorité de Valérie Létard.
Il y a donc eu un surcroît de précautions.
Et sur l’essentiel, le bureau du sénat a confirmé notre rapport. Il a décidé, conformément à nos conclusions et préconisations, de saisir la Justice (le ministère public) comme il était fondé de le faire en vertu de la stricte application de la loi – et d’aucune autre considération.
Donc, lorsqu’on accuse le Sénat de mener, en fait, une opération politique, cela n’a aucun fondement.
J’ajoute quelques remarques pour finir.
En premier lieu, ce n’est pas la faute du Sénat si Alexandre Benalla s’est comporté comme il l’a fait.
Ce n’est pas la faute du Sénat si, en dépit de ce comportement, il a été protégé et s’il y a eu autour de lui et de ses agissements tant de dysfonctionnements à l’Élysée et en d’autres lieux.
Ce n’est pas la faute du Sénat non plus si de hauts responsables, après avoir juré de dire « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité » ont « retenu une part significative de la vérité » ou fait un « faux témoignage », comme l’a constaté le bureau du Sénat.
Il n’y a aucun fondement à reprocher au Sénat des manquements qu’il avait le devoir d’analyser et de traiter en fonction des seules exigences du droit.
Enfin, cette « affaire » montre combien il reste du chemin à parcourir pour la bonne et pleine application dans notre pays de la « séparation des pouvoirs ».
Ainsi, à l’approche de l’audition d’Alexandre Benalla, notre commission, et ses rapporteurs, ont été admonestés par pas moins de trois ministres qui nous ont mis en garde contre tout « empiètement » sur les prérogatives du pouvoir judiciaire. Or, nous n’avons jamais empiété sur les prérogatives du pouvoir judiciaire. Mais nos ministres auraient été avisés de considérer qu’en agissant ainsi, ils méconnaissaient l’indépendance du pouvoir législatif à l’égard du pouvoir exécutif.
De même, le pouvoir exécutif devrait respecter strictement les décisions d’une commission d’enquête parlementaire et du bureau d’une assemblée parlementaire, en vertu du même principe.
Le président de l’Assemblée Nationale aurait dû, par définition, faire preuve du même respect, et défendre bec et ongles les droits du Parlement et le pouvoir de contrôle qu’il doit pouvoir exercer en toute indépendance dans toute démocratie digne de ce nom.
J’ajoute que la justice, qui a été saisie par le bureau du Sénat, statuera, elle aussi, en toute indépendance. Il est essentiel de le rappeler.
En bref, nous ne sommes pas encore le pays de Montesquieu.
Jean-Pierre Sueur
Lire :
>> Le communiqué du Sénat (suite à la réunion du bureau) du 21 mars 2019
>> Le texte intégral du rapport de Muriel Jourda et Jean-Pierre Sueur
>> (Re)voir toutes les auditions (utiliser le moteur de recherche)
>> Quatre interviewes de Jean-Pierre Sueur :