Jean-Pierre Sueur a été l’invité de Rémy Silly sur Radio Mega FM le samedi 21 mai dans l'émission "La Puce à l'oreille" où il s’est exprimé sur l’actualité locale et nationale.
>> (Re)écouter l’émission
Jean-Pierre Sueur a été l’invité de Rémy Silly sur Radio Mega FM le samedi 21 mai dans l'émission "La Puce à l'oreille" où il s’est exprimé sur l’actualité locale et nationale.
>> (Re)écouter l’émission
Je salue la manifestation « Les Voix d’Orléans » consacrée à la francophonie et aux œuvres des femmes, à la place des femmes dans le champ de la francophonie, qui a été organisée les 20 et 21 mai par la Ville d’Orléans à l’Hôtel Dupanloup, qu’on eut le plaisir de voir ainsi « habité » et retrouvant vie.
Et je salue tout particulièrement la passionnante conférence d’Henriette Walter qui a expliqué avec beaucoup de verve et force exemples combien notre langue française avait bénéficié, depuis l’origine, d’emprunts de mots venant de toutes parts : du latin et du grec, bien sûr, mais aussi des langues germaniques, de l’arabe, du persan, de l’anglais, de l’espagnol, de l’italien, du turc, des langues d’Afrique… et j’en oublie.
Toute langue vivante vit avec d’autres. Elle emprunte constamment. Et nombre de langues ont beaucoup emprunté au français. Il est même des emprunts faits par d’autres langues que nous réempruntons quelques siècles plus tard et ainsi nous reviennent.
Les seules langues qui n’empruntent pas, ne se transforment pas, ne vivent pas, sont évidemment les langues mortes.
Cette conférence était un acte politique, au sens noble du terme.
Certains pensent en effet qu’il y aurait une « pureté » originelle de la langue, qui n’a jamais existé, et que les emprunts viendraient polluer et dégrader.
Les mêmes pensent pareillement qu’il existe une pureté originelle de la Nation – qui est pure illusion – que les immigrés et les réfugiés viendraient pervertir.
Funestes conceptions !
Jean-Pierre Sueur
Jean-Pierre Sueur était intervenu auprès de Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, pour soutenir des projets du Loiret, porteurs d’économies d’énergie, présentés par plusieurs pays ainsi que par la ville de Beaugency.
Il a participé ce jeudi à la remise par Ségolène Royal de deux des subventions demandées. Elles s’élèvent à 500 000 € pour le projet Agora porté par la ville de Beaugency et 500 000 € pour le projet d’économie d’énergie du Pays Beauce Gâtinais en Pithiverais.
Yves Carreau nous a quittés le 27 novembre 2014. Il avait été durant plus de trente ans enseignant à l’école des Beaux-Arts d’Orléans. Dessinateur, graveur, il s’est voué à l’art, construisant, avec intégrité, ascèse, concentration, une œuvre considérable.
Je tenais à signaler ici l’exposition de ses gravures que l’on peut voir présentement à la galerie Cat Berro, 25 rue Guénégaud à Paris, et où l’on peut, notamment, découvrir les quatre œuvres ci-dessous.
Je tiens aussi à signaler le très beau livre, La table au noir, qui lui est consacré et qui vient de paraître. Ce livre, réalisé notamment par Sébastien Pons, propose une redécouverte de l’œuvre et du travail d’Yves Carreau à partir de la description méthodique et éclairée de son atelier tel qu’il était le jour de son départ.Il commence par cette phrase : « Aujourd’hui, l’atelier est désert, mais demeure perceptible la silencieuse présence de l’artiste. »
On y lit un texte très fort de Claude Mouchard, intitulé « Nuit féconde », dont je retiens ces deux passages :
« Dans cet "espace du dedans" qui fut et qu’est l’atelier, c’est la fureur lente de l’artiste qu’on croit sentir aujourd’hui encore : une obstination quotidienne plantée au cœur du temps du monde. »
« Sans doute la lumière du dehors n’entre-t-elle qu’à peine dans la nuit enclose de cet "espace du dedans". Mais des ampoules y brûlent à volonté disposées selon les lieux des différentes opérations pratiquées par l’artisan artiste. C’est là que ce sera réengendré, jour après jour, le temps indomptable du travail : il aura pu passer sans rupture de l’obscurité de l’atelier à ces "dedans" autonomes, multiples et énigmatiquement vivants, que constituent les œuvres. »Ce livre contient aussi des écrits d’Yves Carreau. On y lit ainsi sous sa plume : « Dessiner est une œuvre de méditation, d’ascèse où il est question d’élévation, de dépassement dans un face à face avec soi. »
Un avant-dernier mot : la « table au noir » est le « nom donné à la pierre sur laquelle le graveur prépare l’encre d’impression avec des spatules, des tampons et des rouleaux. »
Un dernier mot : merci à Joëlle Labiche de tout ce qu’elle accomplit pour faire connaître l’œuvre d’Yves Carreau et poursuivre l’aventure de « La Cage de l’Ombre forte ».
Jean-Pierre Sueur
>> Cet ouvrage, La table au noir, est en vente au Musée des Beaux-arts d’Orléans et à la librairie des Temps modernes.
Le gouvernement vient de publier un nouveau plan de lutte contre la « radicalisation » et pour la « déradicalisation ».
Je salue d’autant plus cet ensemble de mesures (qu’on trouvera ci-dessous) qu’elles s’inscrivent dans le « droit-fil » du rapport intitulé « Filières "djihadistes" : pour une réponse globale et sans faiblesse », publié en avril 2015, fruit d’une commission d’enquête du Sénat dont j’étais rapporteur (dont on trouvera le lien ci-dessous).
Par rapport à d’autres pays d’Europe, la prise en compte des phénomènes de « radicalisation » a été relativement tardive en France. Elle date, pour l’essentiel, de 2014, même s’il y eut des précurseurs, qui n’ont pas été suffisamment écoutés.
Depuis, on a mis les « bouchées doubles ». Et des efforts considérables sont faits pour détecter la radicalisation, faciliter les signalements (par un « numéro vert » notamment), la prévenir (avec le concours – essentiel – de l’Éducation nationale), mettre en œuvre des « cellules de veille » dans les préfectures et assurer une prise en charge des personnes radicalisées sur le terrain. En même temps, les services de renseignement, de la police, de la gendarmerie et des douanes sont mobilisés pour éviter des départs vers la Syrie et contrôler les retours, cependant que les instances européennes ont – enfin ! – donné le « feu vert » pour l’organisation du système dit « PNR » destiné à mieux contrôler les transports aériens. Des mesures sont également prises par rapport au financement du terrorisme ou pour interdire des sites Internet qui en font l’apogée.
Tout cela est nécessaire.
Mais il est un point sur lequel je souhaite revenir. Il s’agit de ce que l’on appelle la « déradicalisation ».
Dans le rapport précité, nous avions déjà mis en garde contre des conceptions que j’ai jugées, pour ma part, « simplistes » de la « déradicalisation ». Depuis, je me suis souvent exprimé à ce sujet.
Ces conceptions méconnaissent d’abord la force et l’efficacité de la propagande de Daesh et de ses séides, dont les techniques de « radicalisation » ou plutôt d’emprise psychique sont très élaborées.
Quelques vidéos, fussent-elles inspirées par de nobles sentiments et par une évidente rationalité, diffusées en « contre », n’ont malheureusement pas l’effet escompté.
On a tort d’imaginer la déradicalisation comme un processus simple par lequel on va, en quelque sorte, expurger du psychisme d’un être humain des idées fausses ou folles pour en revenir au statu quo ante.
Or, ce n’est pas comme cela que les choses se passent, ni qu’elles peuvent se passer.
Chacun d’entre nous a des conceptions morales, éthiques, politiques, philosophiques ou religieuses. Qu’est-ce qui ferait, qu’est-ce qui pourrait faire que nous renoncions instantanément à celles-ci, que nous penserions soudain qu’elles sont fallacieuses, inacceptables ou insupportables ?
Ce n’est pas si simple.
Ce qu’on appelle la déradicalisation est forcément un processus long qui appelle analyse, dialogue et patience.
C’est un processus qui appelle d’abord une compréhension du phénomène.
Il n’est pas compatible avec les déclarations selon lesquelles « vouloir expliquer c’est déjà excuser. »
Il faut d’abord comprendre le mal pour y apporter réponse.C’est pourquoi je tiens à saluer la parution très récente du livre de Fathi Benslama intitulé Un furieux désir de sacrifice publié aux éditions du Seuil.
Dans une interview donnée à L’Obs à l’occasion de la parution de cet ouvrage, Fethi Benslama conteste d’ailleurs le terme de « déradicalisation » dans la mesure où on l’associe aux conceptions simplistes que je viens d’évoquer. Je le cite : « Je récuse fermement la notion de "déradicalisation". C’est absurde de proposer un nouveau déracinement comme traitement : personne ne peut accepter d’être déraciné, de devenir un paria. La ligne à suivre, sur le plan psychique, est plutôt celle qui consiste à aider le jeune à retrouver sa singularité perdue dans l’automatisme fanatique et la fusion dans un groupe d’exaltés. Cette abolition des limites individuelles dans les groupes sectaires est du reste ce qui favorise l’autosacrifice. Il s’agit donc d’entreprendre un travail de reconstruction du sujet, en tant que responsable de lui-même et de ses choix. »
J’ajoute que le grand mérite du livre de Fathi Benslama est d’investir dans l’analyse des faits dits de « radicalisation » l’apport de la psychanalyse, ce qui rompt singulièrement avec les conceptions mécanistes de retour au statu quo ante sous-jacentes à bien des discours politiques.
« Comment penser le désir sacrificiel qui s’est emparé de tant de jeunes au nom de l’islam ? » se demande-t-il d’emblée, avant de rappeler que les instruments de la « clinique » de Freud « constituent un appui pour explorer les forces collectives de l’anticivilisation au cœur de l’homme civilisé et de sa morale » (p. 13). Il analyse « l’association entre une violence aveugle et la volonté de le donner à voir » comme « un nouveau franchissement qui fait du meurtre et du suicide une communication et un spectacle » (p. 18). Il dénonce les travaux qui « font l’impasse sur la dimension psychologique et a fortiori psychopathologique dans la radicalisation considérée phénoménalement comme un fait qui appartient à la volonté et à la conscience de l’acteur » (p.26). Il rappelle que « 40 % des radicalisés sont des convertis » dont certains commandent sur Internet « L’islam pour les nuls » (p. 51). Il expose que « l’autosacrifice » est sous-tendu par un « idéal de pureté », que le « discours des jeunes qui veulent mourir dans le jihad (…) est prononcé comme si la mort allait leur permettre de réveiller la vie (…), de rêver la mort comme source d’une vie plus vraie » (p. 61).
Après ces développements psychologiques et psychanalytiques, Fethi Benslama en vient aux autres sources de l’islamisme : « La lecture que je soutiens ici est que l’islamisme est l’invention (…) d’une utopie antipolitique face à l’Occident » (p. 67). Il consiste en une « subordination du politique au religieux au point d’aspirer à le faire disparaître » (p.69).
Il retrouve ainsi les analyses de Marcel Gauchet et d’Olivier Roy.
Le fondamentalisme qui sous-tend la radicalité n’est pas essentiellement – ou d’abord – religieux. Mais une conception radicale de l’islam, dite « islamique » rejoint sa visée psychiquement totalisante.
Par ailleurs, ces démarches ne sont pas sans rapport avec ce qu’on a appelé le « syndrome de Cotard » qui permet d’approcher l’idée d’« inidentification » : « Il s’agit d’un délire de négation mélancolique dans lequel le malade est à la recherche d’une mort salvatrice et en même temps se sent désincorporé, infini, immortel, surhumain » (p. 103).
Le livre s’achève sur un éloge de la révolution tunisienne. La révolution tunisienne, en effet, restaure le lien entre l’islam et les Lumières. Elle redonne sa place à l’acte politique et – ce faisant – rompt avec des visées totalisantes.
Je n’ai fait ici que survoler ce livre. Je conclus en émettant le vœu qu’il permettra de comprendre d’où viennent les phénomènes que nous combattons et qui sont contraires à toute forme d’humanisme – de les comprendre pour y apporter de vraies réponses, et non des succédanés.
Jean-Pierre Sueur
Lire et voir :
>> Le plan gouvernemental du 9 mai contre la radicalisation
>> Le rapport « Filières « djihadistes" : pour une réponse globale et sans faiblesse »
>> Le débat auquel Jean-Pierre Sueur a participé le 9 mai sur Public Sénat, sur « Quelle stratégie contre la radicalisation ? », avec Ouisa Kies et Daniel Fellous, animé par Delphine Girard (à 1 heure et 34 minutes)