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En moins d’une semaine, Marianne et Le Canard Enchaîné) déplorent que la proposition de loi sur les sondages qu’Hugues Portelli et moi avons élaborée et qui a été adoptée à l’unanimité par le Sénat n’ait été ni discutée ni adoptée par l’Assemblée Nationale et ne soit donc pas en vigueur aujourd’hui.
Ce n’est évidemment pas le fruit du hasard, mais d’une volonté politique.
Nous avions explicitement dit avec Hugues Portelli qu’il était, pour nous, indispensable qu’une nouvelle loi fût votée avant la campagne (et la précampagne) de l’élection présidentielle.
Le pouvoir exécutif (terme pudique) l’a refusé et s’est obstinément opposé à ce que notre proposition de loi – pourtant votée à l’unanimité par le Sénat - fût adoptée dans les temps voulus. Sans doute craignait-on, en « haut lieu », de déplaire aux sondeurs. Sans doute était-on très attaché aux pratiques et aux connivences en cours.
On voit aujourd’hui le résultat. Il y a de grands doutes sur la crédibilité et la cohérence des différents sondages. On persiste à ne pas donner aux citoyens les éléments d’information sur chaque sondage auxquels ils devraient avoir droit. L’indispensable transparence fait cruellement défaut.
Je prendrai trois exemples.
1. Les marges d’erreurs. Donner pour résultat d’un sondage un chiffre absolu – par exemple tel candidat obtient 47% des intentions de vote – est très insuffisant. Il faut toujours indiquer la marge d’erreur. Ainsi, si 900 personnes ont été interrogées et si l’échantillon est fiable, la marge d’erreur est de plus ou moins 3%. C’est-à-dire que lorsqu’on annonce 47, cela signifie que le résultat se situe entre 44 et 50. Notre proposition de loi prévoyait la publication obligatoire des marges d’erreur, dans la presse écrite, à la radio, à la télévision. C’est essentiel pour relativiser les chiffres absolus qui sont donnés… et dont la justesse est forcément très relative !
2. Les redressements. Les instituts de sondage ne donnent pas les résultats bruts issus des enquêtes, mais des résultats redressés (pour tenir compte, notamment, de l’écart entre ce que les personnes interrogées disent et le vote qu’ils émettent effectivement, tel qu’on peut le présumer, en se fiant à des enquêtes et à des scrutins antérieurs). Avec Hugues Portelli, nous voulions, non pas que ces redressements soient publiés avec chaque sondage, mais qu’ils puissent être toujours consultés, donc connus, publiés et discutés par les concurrents et… tout citoyen. Les sondeurs se sont vivement opposés à cette indispensable transparence, arguant de la protection de leurs « secrets de fabrication ». Mais comme ils affirment, par ailleurs, que leur activité relève de la « science », on voit mal comment ils peuvent continuer de refuser la transparence. Plutôt que d’assister à perte de vue à des débats sur des sondages dont on ignore les conditions d’élaboration, il serait sage, sain et moral, de débattre publiquement des redressements et des critères de redressement.
3. Enfin, il est plus que jamais indispensable que l’on sache qui commande chaque sondage, qui le paie et qui le publie. On voit aujourd’hui que les commanditaires affichés des sondages sont le plus souvent des médias de divers types et des entreprises dont on ne sait pas si elles sont des « sponsors » ou si elles espèrent un retour publicitaire. Qui paie quoi ? Quelle est l’exacte contribution de chaque entité au financement de chaque sondage ? La transparence appelle à des réponses claires à ces questions.
Je pourrais aborder bien d’autres questions. Mais je m’en tiens là. Puisque nous vivons aujourd’hui au rythme de trois ou quatre sondages quotidiens, qui ne voit l’ardente obligation où nous sommes de moraliser les choses, sur la base d’un seul maître-mot : transparence. Puisque cela n’aura pas été possible avant l’élection présidentielle pour les raisons que j’ai dites, j’espère que cela le sera – enfin ! – après.
Jean-Pierre Sueur
Lire :
>> Libération du 19 mars
>> Marianne du 17 mars
>> Le Canard Enchaîné du 21 mars
Je remercie Xavier Lavry, directeur de l’Alliance française à Manchester et Romain Bardot, professeur, de m’avoir convié à faire deux conférences à l’université de Manchester, en Grande Bretagne, ce 23 mars, l’une sur « les villes du futur » devant le très renommé institut d’urbanisme de cette université, l’autre sur l’« Euroméditerranée » devant les étudiants du département de français. Ce fut l’occasion d’une rencontre avec John David Merry, le maire de Salford, l’une des dix communes qui constituent le « grand Manchester », qui nous a dit sa fierté devant l’évolution de sa ville. Dans le rapport sur « Les villes du futur », que j’ai récemment publié, Pauline Malet présente Manchester comme une « shrinking city », c’est-à-dire, littéralement, une « ville qui rétrécit ».
Manchester a, en effet, perdu une part importante de sa population avec le déclin de son industrie – l’industrie textile tout particulièrement. Cela a suscité des crises et des drames.
Mais aujourd’hui, le « grand Manchester » et Salford connaissent un important renouveau qui se traduit par l’arrivée massive des industries du futur dont l’impact culturel, social et urbanistique est considérable.
On le sait, la BBC a fait le choix de déplacer un part importante de ses activités et de ses personnels de Londres à Manchester. ITV suit le mouvement. Cela se traduit par une « cité des médias », un quartier neuf, fait de remarquables architectures, le long du canal qui relie Manchester à Liverpool, un quartier desservi par un tramway (bien sûr), proche du stade de Manchester United, un quartier qui, précisément, s’inscrit à la fois en rupture et en continuité avec l’ensemble du tissu urbain.
La visite de « media-city » est impressionnante, en particulier celle des vastes studios parmi les plus modernes d’Europe, proches des rédactions des multiples chaînes de la BBC et d’une université qui a choisi de travailler sur les médias et en lien avec eux, proche également d’entreprises innovantes.
Comment ne pas voir que la nouvelle urbanité pleinement à l’œuvre ici est indissociablement faite d’activités, de travail, de culture et d’habitat.
Comment ne pas voir aussi qu’il a fallu beaucoup d’audace pour « recoudre » dans le grand Manchester des sphères urbaines dissociées les unes des autres. John David Merry a entrepris de transformer une voie rapide en une avenue, où l’on roule à 30km/h. Ce faisant, il a créé une nouvelle urbanité. Ce qui n’a pas été sans les critiques – au début – de la part des défenseurs invétérés des voies rapides en pleine ville. Pensez donc, Monsieur le maire voulait faire « un boulevard à la française ». Un comble !
Jean-Pierre Sueur
.Jean-Pierre Sueur a été interviewé par La République du Centre (édition du 24 mars) ) à propos de la fin de vie. Il participe également à un débat à ce sujet sur la Chaîne Parlementaire – Assemblée nationale (LCP-AN) le 26 mars à 18h45 (diffusion en direct sur le site de la chaîne et rediffusion à 20h50 et 0h30) avec Jean-Luc Roméro, président de l'ADMD et Nora Berra, secrétaire d'Etat à la santé.
>> Lire La République du Centre
Le dernier disque de Juliette Gréco (Ca se traverse et c’est beau…) est le plus poétique de ceux qu’elle nous a offerts durant ces dix dernières années. Il rassemble treize chansons – treize poèmes – consacrées aux ponts de Paris. Les chansons sont chantées et les poèmes dits en duo avec Marc Lavoine, Mélody Gardot, Féfé et quelques autres.
Une fois encore, Juliette Gréco fait appel à de vrais écrivains qui écrivent chacun les pages d’une œuvre qui finit par être la sienne. Le nombre de ses auteurs – elle a enregistré plus de 700 textes – est très élevé, ils sont très divers, jouent tous les registres, et pourtant Juliette Gréco donne à cette étonnante diversité une troublante unité. Cette transmutation est sa marque propre.
Au fil des ponts de Paris, on croise donc Marie Nimier :
« Ca nous bouleverse, ça nous renverse, mais moi j’y tiens
Le pont Marie, petite Marie, c’est pour aller
De l’une à l’autre, de l’autre à l’un, pas pour sombrer
Pour se trouver, pour se serrer, pour s’embrasser. »
On croise François Morel :
« Je reste seul et triste
Pourtant parlé par des millions
De Parisiens et de touristes
Je suis le petit pont. »
On croise Amélie Nothomb :
« Pourquoi diable aurait-on inventé la Seine
Si ce n’est pour qu’elle coule sous les ponts
Il manque un pont à Paris, le pont Juliette ».
On croise Philippe Sollers :
« Le pont Royal, le roi des ponts de Paris
Est traversé par des histoires
Plus étranges les unes que les autres. […]
Aujourd’hui, le pont est noyé sous les voitures pendant que la Seine
Impassible, et parfois débordante, suit son cours. Mais arrêtez-vous un instant, et tendez l’oreille : sur le pont Royal, en été, on entend un très grand passé. »
On croise Jean-Claude Carrère :
« Sur le pont Mirabeau
Guillaume Apollinaire
Revenant de la guerre
A sa tête un bandeau ».
On croise Juliette Gréco elle-même qui – fait rarissime – a écrit une chanson :
« La misère s’endort comme elle le peut sous les ponts
Elle écoute l’eau emporter le temps
L’hiver finira bien par nous offrir le printemps et les filles dévêtues
Sur les quais, gourmandes de soleil.
Peut-être que tout n’est pas perdu. »
Merci, Juliette.
Jean-Pierre Sueur
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