Arts

  • Je ne dissimulerai pas le bonheur qui fut le mien en lisant le tout dernier livre de François Cheng, Une longue route pour m’unir au chant français,qui vient de paraître. Oui, ce fut un vrai bonheur. Qu’un homme né en Chine, y ayant connu des épreuves, débarque en 1948 à Paris à l’âge de dix-neuf ans sans connaître un « traître mot » de français, ni « bonjour » ni « merci », devienne à ce point amoureux de la langue française, décide de s’y vouer, sans oublier pour autant la haute culture chinoise – hélas niée par la « campagne féroce »de ceux qui envoyèrent la plupart des intellectuels dans des camps de rééducation –, qu’il décide d’apprendre notre langue et nos poèmes, de les traduire en chinois, de traduire les poèmes chinois en français, qu’il choisisse de servir, de magnifier notre langue, d’écrire toute son œuvre en français – une œuvre considérable qui lui vaudra d’entrer à l’Académie française – et qu’il nous offre, après soixante-dix ans d’écriture, ce livre sur notre langue et notre poésie, tellement bien écrit, mieux écrit que tant d’autres, en un style clair et lumineux – oui, que cette longue « route » nous soit ainsi restituée ne peut pas nous laisser indifférent. C’est un beau livre, un plaidoyer passionnel et passionné pour notre langue. Je cite : « S’offrent à moi les mots, dans leur vivante plasticité, chargés d’une sonorité, d’un parfum, d’une saveur inconnus, magnifiques. »
    François Cheng proclame que le poète a « vocation à la voix orphique » : « Il maintient vivace le lien de dialogue entre les vivants et les morts. »
    Il écrit d’Apollinaire et de Péguy qu’ils« ravivent l’inspiration orphique » et que ces deux victimes du « grand désastre » de la guerre « maintiennent ouvert l’horizon, prophétisant le règne d’un autre ordre. »
    François Cheng connaît tous nos poètes, tellement mieux que tant de nos compatriotes. Il nous parle de Hugo, de Nerval, de Mallarmé. Il déchiffre les sonorités de Baudelaire. Il restitue ses dialogues avec Henri Emmanuel, Henri Michaux et Yves Bonnefoy.
    Il se démarque des conceptions mécanicistes d’un certain structuralisme au profit de la créativité de l’être parlant et de la sémiotique.
    À Adorno, qui affirmait qu’« écrire un poème après Auschwitz est barbare », il répond qu’il est « persuadé que c’est seulement par la poésie, le Verbe le plus incarné, que les humains peuvent s’arracher à la vertigineuse pente qui les mène au néant, à condition qu’ils rejoignent le lyrisme le plus élevé que les meilleurs de leur prédécesseurs ont atteint. »
    Il dit encore de la France : « Ce pays, par son amour pour la littérature et les arts, donne un sens particulier à l’expression "terre d’accueil". Il permet aux dieux du destin d’effectuer les gestes appropriés pour le secours aux corps souffrants des réfugiés – et aussi, sinon plus, pour la lente renaissance des âmes assoiffées venues du bout du monde. »
    Il parle en connaissance de cause.
    Puissions-nous l’entendre ?
    Jean-Pierre Sueur
    · Aux éditions Albin-Michel, octobre 2022, 244 pages, 17,90 €.
  • L’œuvre d’Anne Sylvestre est considérable : 400 chansons, dix-huit disques « pour adultes », autant de disques de « fabulettes » pour les enfants. Et tant de sujets abordés avec tellement de lucidité sur notre époque, tellement d’humour de tendresse et de révolte – beaucoup de poésie aussi.
    À ceux qui l’aiment et veulent mieux la connaître, ou plutôt mieux éclairer ce qu’elle a écrit et chanté – car elle disait : « J’ai tout dit dans mes chansons » récusant des demandes d’explications qui lui paraissaient superflues –, je me permets de recommander le livre que Véronique Mortaigne vient de lui consacrer sous le titre Anne Sylvestre une vie en vrai (éditions Équateurs).
    De même que nous avons peu à peu appris et compris la blessure originelle dont avait souffert Barbara et, du coup, relu, réécouté autrement ses chansons, ce livre présente sans fioriture, avec, justement, une intense lucidité, la blessure originelle dont durant de longues années Anne Sylvestre ne voulut pas parler, qu’elle finit, longtemps après, par évoquer dans certaines chansons : son père fut un collaborateur de haut niveau et durant toute sa jeunesse, elle alla le voir en prison.
    C’était caché. Anne ne voulait pas même, au début, qu’on évoque sa relation avec sa sœur, Marie Chaix, devenue la secrétaire de Barbara.
    Le livre s’achève (presque) sur l’évocation infiniment pudique d’un autre drame, la mort du petit-fils d’Anne Sylvestre, victime du terrorisme, au Bataclan.
    Entre ces duretés et ce drame, le livre de Véronique Mortaigne nous  présente bien d’autres aspects d’une « vie en vrai » qui éclairent les thématiques et l’écriture de nombreuses chansons citées : nous partageons le bonheur des îles des Glénans (Les amis d’autrefois), les combats pour le féminisme (Une sorcière comme les autres), pour l’environnement (Le lac Saint-Sébastien) ou pour la tolérance (Les dames de mon quartier)… Et ce n’est bien sûr pas du tout exhaustif ! L’œuvre d’Anne Sylvestre est, effet, considérable. J’ajoute que le livre de Véronique Mortaigne parle aussi d’elle-même, compte nombre de digressions et offre en fait un dialogue avec Anne Sylvestre. Il n’est pas construit selon les règles. Il vagabonde. C’est comme « la vie en vrai ».
    Jean-Pierre Sueur
    · Éditions Équateurs, 220 pages, 20 €

     

  • Il faut remercier et féliciter les éditions Infimes pour avoir publié récemment sous le titre Des hectares de silenceun « choix de poèmes » de Jean-Louis Béchu en une édition établie et préfacée par Alexandre Vigne.
    Jean-Louis Béchu est né en 1918 à Fay-aux-Loges, il a vécu dans « La maison au bord du canal » (titre d’un de ses recueils de nouvelles), avant de passer « l’essentiel de sa vie de poète et d’écrivain » à Orléans, dont une partie rue Davoust, « dans le voisinage des tours gothiques de la cathédrale. » Il est mort en 1996, à Saran.
    Entre romans, nouvelles, poésie, son œuvre est considérable. Ses nouvelles et romans témoignent d’un beau sens de l’écriture, mais ce sont surtout ses poèmes – une douzaine de recueils – qui étonnent et séduisent. Ce sont des vers courts, cursifs, qui décrivent la réalité sans fioritures, mais avec une sensible émotion. C’est ce mélange de réalisme, d’émotions et de sentiments qui constitue sa poésie. Il était reconnu par ses pairs. C’est ainsi qu’il a obtenu le prix François-Villon.
    Mais voilà, ses recueils étaient devenus introuvables et cet authentique poète du Loiret resté méconnu jusqu’à ce que les éditions Infimes aient la riche idée de publier ce florilège, où l’on trouve des poèmes consacrés à « Paris-la-misère », aux usines (« Pour la conscience du métal » ; « L’acier, la rose »), au « Vin des rues », aux jardins, à Venise, aux voyages – et tant d’autres sources d’inspiration.
    Je finirai en citant un seul poème – il faudrait en citer bien d’autres – intitulé « Écrire » :
    Écrire pour ne pas oublier,
    Ancrer l’éphémère
    Avant de choir dans le grand brasier,
    Dire et redire,
    Les fruits de l’hiver
    L’algèbre du temps
    La vie quotidienne
    Avec la pierre chaude
    Les lézards au soleil
    Dire le silence des collines,
    Les saisons de l’âme,
    Ou du corps,
    Dire, redire,
    Jusqu’au dernier souffle.
    Ce poème est tout un programme… Ne vous privez pas de tous les autres. Ce livre ne coûte que dix euros. Il les vaut largement !
    Jean-Pierre Sueur
  • Patrice de La Tour du Pin a vécu dans le Loiret, au Bignon-Mirabeau. Il nous a laissé quatre volumes - publiés aux éditions Gallimard) d’une poésie dense, inspirée, qu’il faut prendre le temps de lire, de savourer, ligne après ligne.
    Les éditions de l’Écluse avaient publié il y a quelques années un beau recueil de plusieurs de ses poèmes illustrés par son ami Jacques Ferrand sous le titre Lieux-dits.
    Les éditions de l’Écluse récidivent – si je puis dire – en nous offrant un second recueil, toujours illustré par Jacques Ferrand qui, après Jean Lurçat, a su rejoindre en son travail de dessinateur et de peintre l’écriture forte parce qu’épurée de Patrice de La Tour du Pin. Ce second recueil s’intitule Le Pâtis de la création. Les animaux y tiennent une large place. Il y est question aussi des plantes. Mais c’est surtout un regard sur la nature et sur la vie que le poète nous offre.
     
    Il écrit :
     
    « Il suffit d’une nuit parfois
    Pour que tout un pan de forêt
    Avec son cœur soit remplacé
    Par des maisons en longues files :
    Il n’est plus ni bête ni bois
    Mais la ville, et toujours la ville…
    Et le poète n’y peut rien :
    Il ne ranime pas les choses
    Broyées dans la métamorphose
    Désolées du petit matin. »
     
    Il interroge :
     
    « Où retrouver l’ombre animale
    Et le beau secret forestier ? »
     
    Et il affirme :
     
    « Et la sagesse est de lire le signe
    En le tournant au-delà de l’histoire
    Vers des temps où la nuit descendait
    Chaque jour au sein de la lumière. »
     
    On le voit, ces quelques vers suffisent – du moins je le crois – pour inciter à lire davantage et à relire encore la poésie de Patrice de La Tour du Pin.
    Jean-Pierre Sueur
  • Il faut remercier Marie-Claire, Geneviève et Thérèse Soulas d’avoir décidé d’éditer l’ouvrage biographique que Robert Sire avait écrit sur Louis-Joseph Soulas, ouvrage qui suit sa vie et son œuvre, année après année, et qu’il avait – pour reprendre les termes de Christiane Noireau dans sa préface – « humblement laissé dans le silence. »

    Cette décision n’est pas seulement justifiée par la piété filiale : elle nous donne, en effet, accès à un document essentiel pour connaître et comprendre l’œuvre de cet immense artiste, encore trop méconnu, en complément aux deux livres récemment parus, le « Soulas » de Christine Noireau (publié aux éditions « Mémoire d’une terre gravée » en 2015) et le « Catalogue raisonné de l’œuvre gravé »dû à André et Catherine Soulas (publié aux éditions « Le livre d’art » en 2016).

    Maurice Genevoix écrivait de Louis-Joseph Soulas : « Ce grand travailleur, ce silencieux si robuste et si probe, n’a jamais dévié de sa vie, jamais cédé aux tentations faciles, aux attraits du succès temporel. Il a été soucieux de sa seule vocation : labeur, scrupule, maîtrise ardument poursuivie et gagnée, c’est à cette vocation qu’il a tout rapporté, tout donné, avec une loyauté, un courage, un contentement du cœur où il trouvait la seule récompense qui comptât à ses yeux. »

    Et s’agissant de la technique de la gravure, son ami René Berthelot écrivait : « Ce qu’il aimait dans le burin, c’est son côté pur, élémentaire : son honnêteté de pauvre. »Et il ajoutait : « C’est avec le burin, ce "cheveu", qu’il a tout dit : la "lourde nappe" des blés au soleil, le reflet des étangs, la transparence des nuages, la branche aigüe qui poignarde le ciel, le tremblement d’une graminée ou le frisson d’une herbe folle. »

    Ces deux citations résument bien, je crois, les sensations que nous éprouvons, page après page, en suivant, dans le livre de Robert Sire, l’œuvre et la vie, indissociablement mêlées, de Soulas, et en admirant l’une après l’autre ses gravures, ses gouaches aussi, qui frappent par leur force, qu’elle soit poétique, technique, surréaliste même ou par leur dépouillement – comme celle représentant la Beauce tant aimée, le si cher moulin de Lignerolles, récemment restauré –, ou encore par leur réalisme lorsqu’il s’agit de portraits ou des paysages d’un Orléans défiguré par la guerre, pour ne prendre que cet exemple.

    La gravure n’est pas un art facile. Elle peut, comme c’est le cas ici, beaucoup émouvoir. Et Maurice Genevoix avait raison : l’œuvre de Louis-Joseph Soulas est d’une extrême et singulière probité.

    Jean-Pierre Sueur

    • AGMT Éditions, 68 route d’Orléans, Lignerolles, 45310 COINCES, 29,90 €.
  • Cette fois encore, le Théâtre de l'Escabeau situé à « Rivotte », à l'entrée de Briare, nous surprend et nous séduit par un spectacle d'été rassemblant ses trois compagnies (professionnels, amateurs, jeune compagnie), un spectacle jeune, innovant, surprenant, Ruy Blas de Victor Hugo, dans une mise en scène de Louise Pauliac.
    Victor Hugo avait, parmi d'autres qualités, le sens du théâtre. On l'a parfois oublié. Mais comme toutes ses pièces, ce « drame romantique » nous tient en haleine jusqu'à l'ultime réplique. L'histoire est connue : Ruy Blas est un laquais qui est amoureux de la reine. Comme l'écrit Victor Hugo, c'est « un ver de terre amoureux d'une étoile. » Ruy Blas en profite aussi pour pourfendre les courtisans corrompus, ne pensant qu'à s'enrichir alors que l'État va mal. Cela vaut pour tous les temps. Et je veux saluer la prestation du titulaire du rôle, Gabriel Garnier, dans la fameuse tirade qui commence par ces mots : « Bon appétit Messieurs ! Ô ministres intègres ! Conseillers vertueux ! voilà votre façon de servir, serviteurs qui pillez la maison. »
    Ce qui est sûr, c'est que les comédiens de l'Escabeau aiment, adorent le théâtre. Cette passion, cette constante créativité qui est leur image de marque, justifieraient qu'ils soient davantage soutenus, par l'État notamment. Je l'ai souvent dit et écrit. Au sortir de ce Ruy Blas, je persiste et je signe.
    Jean-Pierre Sueur
  • Il faut saluer le spectacle estival que les trois compagnies qui sont hébergées au Théâtre de l’Escabeau à Briare – la compagnie professionnelle, la compagnie amateur et la jeune compagnie – se sont unies pour nous offrir, malgré les contraintes de la période, sous ce titre (de circonstance) : Un été particulier. Ce spectacle était constitué de trois pièces délicieuses : deux écrites d’après Maupassant, Une partie de campagneet Le rosier de Madame Husson (dialogues de Marcel Pagnol) et une création époustouflante nous renvoyant aux médias d’il y a soixante-dix ans. Dans les trois cas, la mise en scène d’Élisa Picaud était juste, précise et enlevée. Elle était, de surcroît, ingénieuse puisque, pour tenir compte des contraintes précitées, les trois lieux que compte l’Escabeau étaient mis à contribution simultanément. Un grand coup de chapeau à tous les comédiens qui, en conséquence, ont dû jouer trois fois de suite le même rôle.

    Jean-Pierre Sueur

     
  • L’autobiographie est un art difficile.
    Je n’ai pas oublié les premières lignes des Confessions de Jean-Jacques Rousseau : « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de sa nature ; et cet homme ce sera moi. »
    Et je n’ai pas oublié non plus toutes les analyses qui nous ont montré combien Rousseau avait modifié, enjolivé ou rectifié bien des aspects de la « vérité » promise.
    Il n’empêche que les Confessions sont un chef d’œuvre, et qu’à vrai dire, tout livre de mémoire est toujours, peu ou prou, une re-création de la réalité – et donc, en un sens, une fiction.
    William Sheller s’est essayé à l’exercice, guidé par une bonne fée, Françoise Hardy, qui l’a « poussé à « écrire ce livre après en avoir lu les premières pages » et nous propose donc sous ce titre modeste, William, aux éditions Équateurs, un ouvrage de 490 pages qui, comme il le dit dans la dédicace qu’il m’a fait l’amitié de m’écrire, est « le récit d’un être humain et le reflet d’une époque », et, comme il est encore indiqué dans la quatrième de couverture, est un récit « qui ne craint pas l’aveu sans jamais se départir de la pudeur des grands artistes. »
    C’est donc l’histoire d’une vie et d’une époque, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, ni à l’édification, ni à son contraire, une histoire souvent haletante, qui nous conduit des quartiers de Paris, de ses rues grouillantes de vie, de bonheurs et de souffrances, à Montfort-l’Amaury, en passant par les États-Unis, la Finlande, le Japon et un peu partout, et par d’innombrables théâtres et studios…
    Mais c’est d’abord l’histoire d’une quête personnelle, l’histoire d’un homme qui recherche outre-Atlantique un « vrai père » et le découvre après qu’il a disparu, en même temps que sa « vraie famille », ou du moins une partie de celle-ci, et écrit : « Voir pour la première fois le visage de son père est une émotion qu’aucun mot n’a le pouvoir de restituer. »
    Et c’est ensuite l’histoire de rencontres de toutes natures, un vrai kaléidoscope, une sociologie prise sur le vif, allant des délicieux pompiers de Monfort-l’Amaury à tous les acteurs du « show biz » avec leurs « hauts » et leurs « bas ». Il nous dit : « Je me demande pourquoi j’ai croisé autant de zinzins durant toute ma vie. »Il déplore encore, s’agissant du monde du show biz, que chez Philips, les « directeurs artistiques » soient devenus des « chefs de produit ».
    Émergent quelques grandes figures, comme Françoise Hardy, déjà citée, Catherine Lara, Nicoletta… et bien sûr Barbara. Barbara à qui il est présenté par François Wertheimer, auteur de ces vers baroques, que Sheller reprend :
    « Un Apollon solaire de porphyre et d’ébène
    Attendait Pygmalion assis au pied d’un chêne. »
    Barbara l’invite à Précy pour lui jouer« quelques chansons en cours d’écriture » et lui demande d’y « poser çà et là des cordes bleues » (elle parlait ainsi !).
    Et puis, un jour (ou une nuit), « en se repoudrant le visage », elle lui dit : « Tu devrais chanter, toi. »
    Et c’est ainsi que tout commence…
    Et que le roman picaresque nous mène de chanson en chanson, de théâtre en théâtre, les chansons alternant avec un grand nombre de compositions musicales de haut vol.
    Et puis William Sheller finit par atterrir dans le Loiret, à Jouy-le-Potier.
    Des ennuis de santé le conduiront au « CHU d’Orléans », comme il l’écrit page 472. Puisse cette appellation être prémonitoire !
    Depuis 2014, il est encore plus près d’Orléans. Nous l’y laisserons tranquille.
    Barbara, petite fille, voulait être une « pianiste chantante ». Lui voulait être « compositeur ».
    Il écrit qu’un beau jour, il s’est dit : « Assez du show biz. Fais autre chose. Tu es compositeur, compose ! »C’est ce à quoi il se voue désormais.
    Il écrit encore à la fin du livre que quand il paraîtra, il lui restera « encore vingt ans pour écrire, transmettre, créer. »
    Alors, laissons-le écrire, transmettre et créer…
    Jean-Pierre Sueur
    • William, aux éditions Équateurs, 490 pages, 23 €
  • Sur Public Sénat, interviewé par Rebecca Fitoussi dans le cadre de l’émission spéciale « 10 mars je lis », Jean-Pierre Sueur présente Ève de Charles Péguy, un chef-d’œuvre méconnu.

    >> (Re)voir l’émission (à la 21e minute)

  • Gloire soit rendue au Cinéma des Carmes qui est le seul à Orléans et dans le Loiret à programmer le très remarquable film de Bruno Dumont intitulé sobrement Jeanne !

    On pourrait imaginer, ou rêver, qu’à Orléans, ville johannique s’il en est, chacun se presserait pour proposer ou admirer ce film sur un thème « rebattu », mais qui « supporte les traitements les plus différents sans l’affadir »comme l’écrit Jean-François Julliard dans Le Canard Enchaîné – journal rétif aux bondieuseries ! –, qui ajoute : « Souvent même, il élève ceux qui s’en emparent, de Dreyer à Rivette, en passant par Bresson et même Luc Besson ! La couleur bizarre et décalée que lui donne Bruno Dumont en fait d’autant mieux ressortir la grandeur déconcertante. »

    Il ne faut pas rechercher dans ce film ni l’authenticité des décors, ni la reconstitution minutieuse et pittoresque du passé. Nous sommes dans les dunes du Nord. Il y a de longs temps de méditation et d’attente, rythmée par une musique douce, lancinante, étrange.

    Et il y a, plus réelle que la réalité même, la force du procès de Jeanne, qui se déroule dans l’admirable cathédrale d’Amiens, somptueusement filmée, avec ses juges caricaturaux plus vrais que vrais, et Jeanne, jouée par une comédienne de onze ans, Lise Leplat Prudhomme qui, toute seule, toute droite, inflexible, offre une image sublime du droit et de la justice – une image qui transcende toutes les bassesses.

    Jean-Pierre Sueur

     
     
  • Il faut saluer une fois encore le succès de la présentation par La Fabrique Opéra de l’opéra de Verdi, La Traviata, au Zénith d’Orléans – et cela d’autant plus que la crise du Covid n’a pas facilité la préparation du spectacle, qui a dû être retardé. Félicitations donc, au chef Clément Joubert, au metteur en scène Gaël Lépingle, aux chanteurs, aux chœurs, aux danseurs, à l’équipe de La Fabrique Opéra. Mais félicitations aussi et surtout à cette équipe pour avoir su associer à cette belle aventure nombre de lycées, de centres de formation d’apprentis – et au total, des centaines de jeunes qui ont œuvré avec enthousiasme et qui ont appris, en participant ou assistant aux spectacles, à aimer l’art lyrique. Ce n’est pas la moindre des réussites de La Fabrique Opéra.

    JPS

     
  • Un grand merci au Théâtre des Vallées qui, reprenant une ancienne tradition, s’est déplacé en roulotte dans quinze communes de l’est du Loiret pour offrir à un large public, avec Les impromptus de Molière, un florilège de scènes du théâtre de Molière. Un spectacle qui fait aimer le théâtre – et qui fait aimer Molière !
    Jean-Pierre Sueur
     
     
     
     
     
  • Michèle Gendreau-Massaloux qui fut rectrice (on ne devait pas féminiser ce nom à l’époque !) à Orléans avant de l’être à Paris puis à l’agence universitaire de la francophonie, nous offre, dans le dernier numéro de la revue Critique, s’agissant de l’œuvre d’Hélène Cixous, une analyse très pénétrante des rapports qui unissent, en un même être, l’écrivain et le lecteur. « Qui ne reconnaît aujourd’hui – écrit-elle d’emblée – qu’être un écrivain, c’est aussi peut-être et d’abord être un lecteur. »Ainsi, nous dit-elle encore, Julien Gracq, « en lisant, en écrivant, découpe au scalpel les textes de ses aînés. »
    Pour en venir à Hélène Cixous, Michèle Gendreau-Massaloux restitue sa faculté de faire vivre en son séminaire, durant les années 2001-2004, « quelque soixante auteurs » qui, lus et relus par elle, nous « reviennent toujours neufs. » Elle dit – mais, maintenant, c’est écrit – que « la question même de la lecture est le déchiffrement mètre à mètre par la pensée d’une profondeur qui est traitée de surface par ceux qui ne veulent pas lire les signes. » Et elle ajoute : « Si on me demandait de résumer une position politique, elle passerait par la lecture. »
    La parole du séminaire, devenue écriture, qui vient d’être « fidèlement » restituée dans un imposant livre de 1 186 pages (Gallimard), a un statut propre. Michèle Gendreau-Massaloux le décrit « tantôt au galop, tantôt dans la contemplation animée, jamais à l’arrêt. »Elle écrit encore que« le rythme apporte aux auditeurs des sensations, des émotions, des éblouissements. » Et elle nous rappelle cette forte et paradoxale intuition de Jacques Derrida qui plaçait « l’écrit à l’intérieur même de la parole. »
    Ainsi, dire et écrire se rejoignent. L’un procède de l’autre, et inversement.
    Et les écrivains sont nourris des livres. Ils sont faits de littérature et de mots, comme les indiens d’Asturias sont faits de maïs.
    On me permettra à ce sujet une référence à Charles Péguy qui écrivait dans Clio : « Les mauvaises lectures désagrègent », et encore : « La plus grande œuvre du plus grand génie est livrée entre nos mains, non pas inerte, mais vivante, comme un petit lapin de garenne. »Si bien – écrivait-il –, que nous avons la faculté de « faire une mauvaise lecture d’Homère, de découronner une œuvre du génie. »
    Autrement dit, tout se tient. L’écrivain et le lecteur sont solidaires. Ils se tiennent la main quand ils ne s’identifient pas l’un à l’autre. L’écrivain écrit sur un terreau de littérature, qui le nourrit et qu’il régénère. Dans cet article, Michèle Gendreau-Massaloux nous parle justement des « échos qui se répondent d’un texte ou d’un écrivain à un autre » et nous offre, pour finir, cette ultime citation d’Hélène Cixous : « La littérature peut refaire de la vie avec des cendres. »
    Jean-Pierre Sueur
    • Critique, revue générale des publications françaises et étrangères, N° 83, octobre 2021
  • C’est un livre rare, précieux. C’est un livre d’art – une œuvre d’art. Car son auteur, Frédéric Tachot, « typographe-pressier », est à la fois un artisan et un artiste. Il porte en lui toute la grandeur et la noblesse de la corporation des imprimeurs – ces imprimeurs qui, depuis Gutenberg, jouèrent un rôle considérable dans l’histoire intellectuelle, politique et sociale. Ils ont beaucoup œuvré pour donner à notre langue, le français, et à d’autres, la forme qu’elles ont. Ce livre conte leur histoire, mais aussi les mœurs, « mythes et symboles » de la profession, en cinq chapitres empruntant leurs titres au Pentateuque puisque l’histoire a retenu « la Bible comme le premier ouvrage imprimé en typographie en Occident. » Il y a une totale harmonie entre la forme de cet ouvrage – travail de typographie d’une singulière beauté – et ce qu’il narre, preuve s’il en fallait, que la sempiternelle distinction entre forme et fond n’a pas de pertinence. Les mots du métier sont expliqués, son histoire est restituée, non pas de manière froide et technique, mais avec passion : la passion du bel ouvrage. Et aussi la passion pour tous ceux, connus ou méconnus, qui en furent les acteurs. Sans oublier l’Orléanais Étienne Dolet qui « en marchand vers l’échafaud, se moquant encore une fois de la douleur, aurait lancé en ricanant : "Ce n’est pas Dolet qui souffre, mais la foule compatissante". »

    Merci à Frédéric Tachot de m’avoir écrit qu’il avait façonné – dans tous les sens du terme – cet ouvrage « en souvenir de l’époque où le plomb des caractères donnait aux mots un poids certain. »

    Jean-Pierre Sueur

    PS. J’ajoute un mot pour conseiller vivement à tous ceux qui ne l’ont pas encore fait d’aller visiter l’« Atelier Musée de l’Imprimerie » (AMI) à Malesherbes. Ce remarquable musée qui présente de manière très vivante l’histoire de l’imprimerie et des médias de Gutenberg à nos jours, est unique en Europe. Merci encore à Jean-Paul et Chantal Maury sans lesquels il n’aurait pas vu le jour.

     

     

     
  • Une fois encore, Élisa Chicaud nous surprend et nous enchante avec la très forte mise en scène de la pièce Un otage de Brendan Behan, qu’elle présente au Théâtre de l’Escabeau à Briare. C’est l’Irlande des années soixante qui nous est restituée dans un spectacle – comédie et drame à la fois – très enlevé tant pour ce qui est des chants, des danses, de la musique que de la scénographie. Il y a encore deux représentations, les 9 et 10 septembre.
    Jean-Pierre Sueur
  • Mag Centre, 13 janvier 2021

     
  • L’un des plus extraordinaires souvenirs du théâtre que je garde en moi, le plus extraordinaire sans doute, ce fut au Palais de Chaillot, en 1987, la représentation en version complète – dix heures au total – du chef d’œuvre de Paul Claudel, Le soulier de satin, dans la mise en scène d’Antoine Vitez. « La scène de ce drame est le monde » écrivait Claudel. Ce drame « voltige entre tous les styles, du burlesque au tragique » écrit Youness Boursenna. Oui, c’est un monde, un univers, une épopée, une histoire, ou plutôt plusieurs, fruits d’une écriture puissamment poétique, qui nous emporte. Il faut, bien sûr, accepter de se laisser emporter !

    À la fin du spectacle, qui avait commencé dès le matin – il était une heure du matin, de l’autre matin –, nous avons applaudi durant une demie heure. Nous ne pouvions pas, littéralement, nous ne voulions pas quitter le théâtre.

    Je dois dire que j’ai éprouvé des sentiments et sensations analogues – bien que ce  fût, il vrai, différent –, lorqu’Olivier Py nous offrit la même version intégrale de la pièce à Orléans.

    Aujourd’hui, trente ans après la mort de Vitez, l’INA publie enfin un coffret de quatre DVD – durée totale : 11 h 10 ! – reprenant son inoubliable mise en scène.

    Et sa fille, Jeanne, nous explique dans Marianne (numéro du 18 septembre), s’agissant de son père et de Claudel : « Si leurs croyances semblent antagonistes à première vue, mon père […] aimait dansLe soulier de satinla folie de cette pièce dans laquelle il voulait tous – comédiens, spectateurs, techniciens – nous embarquer […] Je garde de cette pièce le souvenir d’un éblouissement […]À chaque entracte, on se demandait si les spectateurs seraient toujours là et ils restaient ! […] L’accueil du public a été extraordinaire […] Cette pièce qui dure dix heures réussit à tenir presque sans accessoires, seulement avec la force de son texte et de ceux qui le jouent. »

    On comprendra pourquoi j’ai tant tenu à ce que l’une des trois salles du Théâtre d’Orléans s’appelât « Salle Antoine Vitez ».

    Ce choix était pour moi une marque de reconnaissance et un manifeste.

    Un manifeste pour une conception de la mise en scène.

    Être metteur en scène, c’est d’abord servir les textes.

    Servir les textes avec modestie, rigueur et sympathie.

    C’est être le passeur qui fait vivre et revivre les textes.

    Ce n’est pas se servir soi-même.

    Puisse-t-on s’en souvenir.

    Jean-Pierre Sueur

    >> Sur le site de l’INA : la présentation par Antoine Vitez de la pièce Le soulier de satin

  • À Cerdon se déroule chaque année depuis dix ans une manifestation culturelle originale. Il s’agit d’un parcours artistique au cours duquel on découvre les œuvres d’artistes contemporains dans les maisons, jardins et granges du village.

    Un livre est paru à l’occasion du dixième anniversaire de cette manifestation, que Jean-Pierre Sueur a préfacé.

    >> Lire la préface

     
  • Jean-Pierre Sueur était intervenu de longue date pour que l’État apporte son concours financier à la très remarquable réalisation que constitue l’Atelier Musée Imprimerie (AMI) Artegraf de Malesherbes, dû à l’initiative de Jean-Paul et Chantal Maury et qui présente une collection unique en Europe consacrée à l’imprimerie et aux arts graphiques.

    Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités locales, a annoncé à Jean-Pierre Sueur l’attribution d’une subvention de l’État au titre du Fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT).

    Lire :
  • Jean-Pierre Sueur est intervenu lors du débat sur la proposition relative à la modernisation de la régulation du marché de l’art.
    Il a rappelé qu’alors que la France dominait le monde en ce domaine jusqu’à la fin des années cinquante, elle en représente aujourd’hui 6 % contre 3 % pour les États-Unis, 32 % pour la Chine et 13 % pour le Royaume Uni.
    Jean-Pierre Sueur a soutenu les réformes inscrites dans la proposition de loi,  notamment les nouvelles missions dévolues au nouveau Conseil des maisons de vente, la modification de sa composition, donnant une plus grande place aux professionnels, ainsi que le renforcement de sa fonction disciplinaire.
    Il a présenté six amendements, qui ont été adoptés par le Sénat, élargissant la compétence des maisons de vente aux inventaires fiscaux, et éliminant du texte le « mot valise » opérateur pour mieux dénommer les différentes personnes intervenant dans le marché de l’art.